LIVRE /LA TRILOGIE DE L’AMOUR EN MODE GLISSEMENT, FACON PAUL SIGNAC.

         Précurseur du pointillisme, Paul Signac (1863-1935) est un des peintres les plus connus des années 20, paysagiste et anarchiste, travailleur, sportif et artistiquement aux côtés des peintres, tels que Van Gogh, Monet, Seurat, Fénéon ou Bonnard. Bouillonnement d’une époque où les mouvements se forment dans un impressionnant fourmillement et déferlement créatifs qui allaient bouleverser l’histoire de l’art.

Mais, ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce n’est pas le plasticien mais l’homme/Janus dévoilé par cette biographie au titre délicatement sublime : Glissez, mortels  (Quatrain de Pierre-Charles Roy : Sur un mince cristal l’hiver conduit leurs pas ;/ Le précipice est sous la glace ; / Telle est de vos plaisirs la légère surface. / Glissez, mortels, n’appuyez pas. L’ouvrage, rédigé par Charlotte Hellman, est tout juste passionnant. En effet, elle raconte la double vie amoureuse menée par Paul Signac qui ne cessa d’aimer deux femmes en même temps : Berthe, son épouse légitime puis Jeanne Desgrange, artiste, avec un air de Colette dans l’esthétique. Celle-ci abandonna mari et enfants pour vivre avec Signac. Elle lui donna une petite fille (il n’eut pas d’enfants avec Berthe), Ginette comme un cadeau de la providence, qui fut tout simplement la grand-mère de l’auteur(e). Récit donc en histoire de famille et tentative de « débroussailler » cette improbable et inextricable histoire d’amour, surtout avec Berthe, la légitime qu’il continua d’aimer, coûte que coûte, lui écrivant tous les jours…On a recensé quelques milliers de lettres, certaines ayant été détruites par la « seconde » femme.

Incroyable destinée en miroir à facettes d’un homme asthmatique, souffrant le martyr et continuant de régir – à distance – la vie de son épouse. Les deux « rivales » se rapprocheront à la fin de la vie de l’artiste qui fut un sportif émérite, malgré ses problèmes de santé : Et puis, quand l’huile d’olive vient à manquer dans la maison, il enfourche sa bicyclette pour aller la chercher à Cotignac, dans le Haut-Var, à soixante-dix kilomètres. Passionné de cyclisme, il suivait l’épopée des forçats de la route. Il était aussi capable de marcher des kilomètres sans coup férir !

Et pour finir, durant son agonie, entouré de « ses » deux femmes et de la petite Ginette, il ne cessa de fixer son enfant jusqu’au bout, comme s’il voulait lui laisser un dernier message. Celle-ci, curieusement, connaîtra le même destin que Berthe (qui l’avait adoptée !) : Elle aussi sera à mi-parcours abandonné par son mari. Elle aussi, par un étrange tour du destin, adoptera l’enfant qu’il aura fait à une autre. Elle aussi deviendra la maîtresse solitaire de « La Hune » (A Saint-Tropez),cette maison enchantée de son enfance. Et à elle aussi, on apportera un matin d’hiver une petite fille unique, qu’elle prendra dans ses bras frêles, avant de s’effacer.

Il y a ainsi des existences comme des œuvres pointillistes…Chaque petit picot dissimulant sa part de lumière.

© Laurent BAYART

Glissez, mortels de Charlotte Hellman, Editions Philippe Rey, 2019.

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