Grand reporter aux Dernières Nouvelles d’Alsace, Franck Buchy seul et à pied a traversé les Vosges du nord au sud, en suivant la limite administrative entre l’Alsace et le reste de la France. Une incroyable et improbable odyssée pédestre qu’il s’est appropriée, comme une épopée intérieure et un exploit sportif en ivresse de découvertes. Ce carnet de friches, véritable éloge des lisières, est autant un hymne à la nature qu’un manifeste de l’esquive.
Franck, pérégrin de l’ultime, vagabonde dans cet humus vert où les sapins deviennent des candélabres éclairant cette superbe cathédrale verte que constitue les Vosges. Inventer l’inconnu juste derrière chez soi ; trahir les secrets de son propre jardin ; se frayer une échappée tangible. De journalier de l’écriture, l’auteur nous offre des pépites de littérature et un texte magistral qui chante l’art de cette douce fuite en avant que constitue la marche.
Belle et fine écriture qui convoque l’émotion du lecteur, devenu compagnon de sente : l’adret alsacien est touffu et épais comme une toile acrylique bâclée au couteau…Plus loin, le pérégrin nous confie que marcher sur le fil d’une frontière, c’est devenir invisible. Et plus avant, de nous distiller cette magnifique image de poète : les arbres sont plantés comme des cure-dents. Franck devient philosophe et chantre des sentes et des chemins qu’il (ré)invente en marchant : Parcourir les bordures, c’est écumer l’arrière-boutique du monde et s’immiscer dans la porosité…Livre singulier et atypique qui chante l’ivresse de la fuite si féconde pour notre âme. Et l’auteur de nous rappeler, fort justement, que les bouts du monde lui rappelleraient à chaque seconde que l’inconfort a davantage de vertus prophylactiques que la paresse prudentielle. Carte à l’appui en début d’opuscule, on savoure cette échappée de lumière : la géographie est la littérature de l’ostensible. Plus loin encore, il rajoute que marcher, c’est parler au monde.
Superbe écriture de l’ultime comme un dialogue avec la terre et son humanité retrouvée. Et au fil de la marche, le journaliste devient écrivain et fait sa mue tel un reptile inspiré : Les lacets se tordent comme des spaghettis dans un nuage de lait.
Franck Buchy est un arpenteur de bornes qui réenchante le quotidien et refait se mouvoir l’histoire. En une ultime confidence, ce Jacquet a trouvé son Compostelle en nous confiant que la différence entre la marche et l’errance ne réside pas dans le sens des pas mais dans la disposition de l’esprit.
Franck Buchy est le poète de l’instant et du chemin, ses pieds sont des plumes qui tracent la route…devenue aérienne.
© Laurent BAYART
- Fugue au cœur des Vosges de Franck Buchy, Transboréal, 2020.