LIVRE / LE DANUBE A CONTRE-COURANT ET EN CHAMBRE A AIR.

Cet ouvrage, signé Emmanuel Ruben, est peut-être le meilleur que j’ai lu dans le genre de la bourlingue cycliste. Il est tout simplement somptueux par la qualité de l’écriture, de la narration et par cette ébullition d’érudition  géographique et historique qu’il nous distille au fil du Danube (qui n’est pas forcément bleu, bien au contraire !), sans pour autant nous tartiner de références. 

Seul le titre reste sobre, Sur la route du Danube raconte les déambulations en cale-pieds de deux assoiffés de rencontres, réalisées en été 2016 en quarante-huit jours, partis d’Odessa en Ukraine (Ou-Kraïna, le pays des confins)jusqu’à Strasbourg, en passant par les sources du Danube, soit 4.000 kilomètres parcourus, une dizaine de pays traversés et plus de 600 pages sur une fine pellicule cyclable comme du papier cigarette !  Il suffit de trouver le tempo, comme le stipule Vlad, son alter ego : Si tu trouves le bon rythme../..tu deviens invisible, insaisissable, rien ne peut t’arrêter, une sorte de transe intérieure te gagne…Beaucoup d’humour et une analyse pertinente de la geste cycliste : Interrogez-les (les vélocipédistes modernes) sur leurs plus grandes frayeurs. Tous vous répondront : Non, ce que nous craignons le plus ce sont les chiens errants…Voyage dans l’absolu et l’essentiel de nos existences, via cette Europe qui raconte, au fil du fleuve, le pédigrée de son histoire : Descendre un fleuve, c’est aller vers la mort. « Nos vies sont des fleuves qui vont se jeter dans la mer qu’est la mort ». C’est pour échapper à cette mer inéluctable que nous avons entrepris ce voyage à rebrousse-poil. Une mort qu’il ne sera pas, toutefois, facile d’éviter, car la mère de Vlad se trouvant, gavée de chimio, attend le retour de son cavalier en monture carbone dans cette chambre d’hôpital où coule encore le petit filet de vie, comme un peu d’eau du Danube…

Ainsi, on se laisse emporter par cette poésie distillée par l’acide lactique et l’endorphine : …la bicyclette est un instrument de pur lyrisme, les plus belles phrases nous viennent souvent en pédalant, le vélo fait chanter les paysages…Nos navigateurs à rayons nous distillant, au gré de leur périple,  quelques réflexions philosophiques : La vie nomade est un enchantement de tous les instants, car c’est une vie réglée sur la rotation terrestre, loin de ce bonheur rangé dans un armoire d’un monde occidental où les sandwiches puent le plastoc…

Quelle merveilleuse circumnavigation dans cette véritable Europe où les deux nautoniers à bicyclette furent guidés par une géographique de l’instinct car à vélo, on ne fait qu’esquisser, on n’appuie jamais comme un marcheur, on glisse au fil du paysage…à l’image de l’eau limoneuse et féconde du Danube.

@ Laurent BAYART

* Sur la route du Danube d’Emmanuel Ruben, éditions Rivages, 2019.

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