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LIVRE/ EN QUETE DE LA REPUBLIQUE D’UZUPIS…

 

 

 

Encore une belle et surprenante découverte de la littérature coréenne en la personne de Haïlji, auteur né en 1955. Cet écrivain nous emmène en quête de cette énigmatique République d’Uzupis. Pour ce faire, il nous faut transiter en Lituanie, via Vilnius en compagnie d’Hal, Asiatique qui trimbale les cendres de son père, président de cette république fantoche introuvable, à l’image de Godot, dont l’étymologie signifie de l’autre côté de la rivière.

Ainsi, apprend-on qu’autrefois considéré comme un vieux quartier décrépi à l’époque soviétique, Uzupis devint la résidence des artistes qui avaient jeté leur dévolu sur ce quartier pittoresque de vieilles maisons, à proximité immédiate de la vieille ville, trouvant assez de place dans les caves et greniers pour les ateliers. Peu à peu, l’effervescence artistique du lieu a transformé Uzupis en lieu de bohème, sorte de Montmartre lituanien. C’est ainsi que fut fondée la République d’Uzupis, avec ses citoyens, ses lois, sa Constitution, et ses dirigeants. Voilà ce que nous apprend Google.

Mais, revenons-en à notre ouvrage. Celui-ci se lit comme une intrigue policière où déferlent de nombreux personnages comme autant de clefs pour ouvrir les portes de ce pays. Est-ce un bout de territoire de l’ancienne Union Soviétique ? Tout le monde semble le connaître sans savoir où se situe cette terre promise où la fête nationale est fixée le 1er avril ! Au détour d’une rencontre, le personnage croit entendre l’hymne national et, d’anciens clichés constituent des pièces d’un puzzle qui –lentement- se reconstitue. Est-ce une chimère ?

Ce livre est truffé d’humour et de dérision, un peu Ubuesque par moments, mais nous ne sommes pas en Pologne ! Enfin, Hal – au détour – d’un dialogue lâche espiègle : Un proverbe de chez moi dit que tous les hommes croient que leurs chiens ne mordent pas comme tous les maris pensent que leurs épouses sont fidèles.

 En tout cas, une chose est certaine : les habitants de ce pays mystérieux ne manquent pas d’humour ! Et s’il se trouvait à Vilnius ?

                                                                                                            Laurent BAYART

* La République d’Uzupis de Haïlji, Editions Le Serpent à Plumes, 2016.

 

LIVRE / LES CHEMINS NOIRS DE REDEMPTION DE SYLVAIN TESSON.

 

Le personnage était parfois un rien agaçant ; cette constante bourlingue entre vodka, improbables périples aux confins des mondes et défis à saute-mouton avec la mort. Hélas, à force de jouer avec l’impossible, l’écrivain talentueux qu’est Sylvain Tesson s’est « crashé » d’un toit, chute de dix mètres, acte gratuit et jeux d’ados en beuverie qui tournent au drame. Cette tête brûlée (cassée pour la circonstance) s’en est sortie handicapée, après une dizaine de jours de coma…Un autre homme est né.

Chemins de rédemption, les « chemins noirs » de ce livre raconte la traversée d’une France « hyper rurale », zones d’ombres et bassins de vie où la modernité n’a pas encore jeté ses postillons sur la nature. Sylvain a emprunté les sentes de rédemption, à pied, du 26 août au 8 novembre 2015, traversée en diagonale de Provence jusqu’au Cotentin. L’aventure hexagonale : … j’avais passé vingt ans à courir le monde entre Oulan-Bator et Valparaiso et qu’il était absurde de connaître Samarcande alors qu’il y avait l’Indre-et-Loire…Le corps et les os cloutés et en bris de l’aventurier se refont, peu à peu, au gré des paysages et des rencontres. Fraternité de ces retrouvailles avec soi-même où l’homme redécouvre son essence même et le sens de sa vie. Se remet, dans le fond, « dans le sens de la marche ». L’écrivain nous régale avec son sens de l’observation, son indéniable qualité d’écriture, narration toujours élégamment conduite où il découvrira, en rase campagne, les panneaux d’une société de l’interdit qui vendange ses impératifs : Depuis le Mercantour, je notais la propension de l’homme à placarder ses injonctions. Chaque lisière portait ses « chasse gardée », « propriété privée », « accès interdit » et même « dernier avertissement ». L’homme avait su aménager la nature, la grillager, l’anthropiser….

 Le livre est somptueux, peut-être le plus beau et le plus fort de Sylvain Tesson car ses pas le mènent à cette rédemption/résurrection sur les chemins d’une aventure qui se glisse à l’intérieur de nos propres horizons.

Laurent BAYART

 

* « Sur les chemins noirs » de Sylvain Tesson, éditions Gallimard, 2016.

LIVRE / LE PAKISTAN DEJANTE DE MAHA KHAN PHILLIPS.

 

Belle découverte que ce premier roman un rien subversif et sulfureux signé par Maha Khan Phillips. Dans « Les nuits de Karachi », l’auteur(e) « dynamite l’image de soumission des femmes dans les sociétés islamiques ». Un trio de femmes dont cette héroïne, véritable passionaria Amynah Farooqui, journaliste et chroniqueuse. Les trois filles, issues d’une certaine jeunesse dorée pakistanaise, décident de réaliser un documentaire sur la violence faite aux femmes…Ainsi, une épouse martyre deviendra le symbole de cette lutte tabou : Nilofer. C’est une occasion unique de montrer au monde qu’il y a des centaines de femmes qui meurent entre les mains d’homme comme Allah Numani…déclarent les réalisatrices de ce film qui provoquera l’incendie, l’émoi et aussi la mort…Le chiffre des femmes assassinées en ce pays demeure hallucinant : Au Pendjab, ce chiffre est en augmentation en raison du « Vatha Satha ». C’est la pratique consistant à entrecroiser les liens afin de maintenir la paix.

Cette écriture, hors des sentiers battus, lance les banderilles d’une narration qui slalome entre l’absurde, les cocktails de drogue et des groupes mortifères islamiques, tout cela dans une ambiance de jet society un peu déjanté où des personnages rocambolesques surgissent comme des rock stars, tel ce Johnny Black, chanteur britannique, converti au fanatisme religieux, qui a remporté les suffrages de cette télé réalité nitroglycérinée : « Qui veut devenir terroriste ? ».

Drôle de faunes qui déambulent dans les pages de ce livre remarquable, à l’image de cet passage : Elle attrape Faisal et se dirige vers le bar en passant devant les anorexiques, les mannequins, les stylistes de mode, les réalisateurs, les ivrognes et les types pas nets…

Maha Khan Phillips, avec un courage remarquable, nous donne une image étonnante de la société pakistanaise, un des pays les plus instables de la planète, version iconoclaste, une forme de résistance à la barbarie du monde. Par les temps qui courent, cette écriture se révèle vivifiante.

Laurent BAYART

 

* Les nuits de Karachi (roman) de Maha Khan Phillips, Editions Albin Michel, 2012.

 

 

 

 

 

 

BILLET (DE BANQUE) d’HUMEUR / ACTE 51 /LA REPUBLIQUE DE NEYMAR OU LE FOU-TEUX BIZENESS

Impossible d’échapper au feuilleton estival de ces derniers jours : à savoir la supposée  arrivée confirmée du footballeur brésilien Da Silva Santo Junior dit Neymar au Paris Saint Germain (c’est un club de foot) pour un montant de transfert record, nous dit-on, de 222 millions d’Euros…Soit un salaire net mensuel qui se monterait à 2,5 millions d’Euros. Pour ceux qui aiment comptabiliser en francs, on dépasse le milliard, les amis ! Voilà que le vertige nous étreint (d’enfer) avec une irrépressible envie de rendre tout de même sur le gazon (synthétique). On a beau aimer particulièrement le foot, ça fout(e) tout de même un sentiment amer dans le gosier…y’a des remontées de bile.

Transfert qui représente le budget annuel de quelques clubs de ligue 1 ou plusieurs fois celui de l’équipe Sky (là, on parle de cyclisme), ça vous met les neurones en branle, non ? Bref, ce jeune homme, du reste attaquant sur un rectangle vert, de vingt cinq ans n’a pas de soucis à se faire pour ses fins de mois. Comme dirait son agent (de poche) : « Par ici, non pas la monnaie, mais les grosses coupures… »

Je rappelle tout de même que le football est un sport, et plus particulièrement de ballon rond où l’on joue à vingt-deux. Waouh, si l’on additionne les sommes faramineuses des salaires cumulés par ses onze coéquipiers, + les remplaçants, ça donne une fichue équipe de cartes bancaires…

Avec des tarifs pareils, il faut mieux gagner des matches et des compétitions. Battre (c’est plutôt des dérouillées dont il devrait s’agir) Amiens, Valenciennes, Dijon, Angers… et au moins gagner la coupe de la Ligue, sinon…

Mais, finalement, à quoi sert encore de jouer ce championnat de France de ligue 1, qui s’appelle d’ailleurs désormais « Conforama » ! Bref, autrement dit c’est déjà plié, voire dans… un fauteuil le titre de champion, non ? C’est une équipe armoire ou canapé qui va gagner ! Oups.

A moins qu’un (modeste) club au budget de 30 millions d’Euros (le Racing Club de Strasbourg !) remporte le titre ? Alors là, ce serait à ne plus rien comprendre…au blé qui pousse entre l’herbe des gazons de foot.

Le monde court vraiment à l’envers.

3 août 2017

Laurent Bayart

 

 

LIVRE / « LES MOTS DE MA VIE » DE BERNARD PIVOT.

 

Lire un ouvrage de Bernard Pivot, c’est comme se plonger doublement dans un livre. Ce pavé de 350 pages, paru en 2011, est une manière de « dictionnaire amoureux » où ses mots fétiches sont recensés et « racontés ». Ce Lyonnais, fils d’épicier, journaliste débutant au Figaro puis créateur de ses emblématiques émissions littéraires, nous conte avec passion son amour des mots et cette gourmandise qui le fait savourer la littérature : On ne trouvera pas dans ce livre le récit de mes rencontres d’Apostrophes et de Bouillon de culture avec les écrivains. Ce gourmand et autre épicurien le dit bien : J’ai aimé les mots avant d’aimer les livres. J’ai lu un dictionnaire avant de lire des romans. J’ai vagabondé dans le vocabulaire avant de me promener dans la littérature.

Parmi tous les écrivains qui l’ont marqué, il y en a un qui revient très souvent : Nabokov. C’est lui qui a réuni la collection de papillons du musée de Harvard. Plus loin, parlant de son ami écrivain, il confie aussi, avec un zest d’humour : c ‘est que souffrant de la prostate, il avait demandé qu’un urinoir de secours fut installé derrière le décor d’Apostrophes. Mais, finalement, tout se passa bien… Et puis, à l’image de Collette, il affectionne particulièrement les chats et notamment son pensionnaire à moustaches : Je crois qu’il m’aimait parce que je lisais. Il y avait alors entre nous une connivence devant laquelle cédait son mauvais caractère…

Bernard Pivot aime employer les mots un peu désuets, comme courriériste, croquignolet, carabistouille, chafouin…Se délecte de les remettre dans le bouillonnement du vocabulaire quotidien. Bref, de leur redonner vie !

Et puis, amoureux de l’écriture…jusqu’aux bouts des doigts, il nous avoue : Le stylo ? Serviteur ! Il m’obéit au doigt et à l’œil. Il avance, il s’arrête, il se retire, il revient, il rature, il biffe, il voyage au-dessus des lignes…/… Avec la main, les lettres qui constituent les mots sont liées ; sur l’ordinateur, les lettres ne sont jamais en contact les unes avec les autres.

                                                                                                                   Laurent BAYART

 

* Les mots de ma vie de Bernard Pivot, Editions Albin Michel, 2011.

LIVRE/ L’ETONNANT VOYAGE DE CORNELIUS QUENTIN OU QUAND JEAN HUMENRY BROUILLE LES PISTES…

Auteur compositeur et interprète, Jean Humenry fut révélé par Jacques Chancel et Guy Béart au début des années soixante-dix. Ainsi, il a produit un nombre impressionnant d’albums et a réalisé de très nombreux concerts durant une carrière de cinquante ans, vouée à la chanson française et à la beauté du texte.

Depuis quelques années, le musicien (qui était déjà poète) s’est mis à l’écriture, au roman et au récit. Prenant un peu le contre-pied du chanteur humaniste, voici qu’il vient de faire paraître un roman déhanché, une vaste fresque en frasques de pérégrinations sur les routes à la Kérouac et à la London. Comme une grande bouffée d’oxygène, hymne à l’errance et à l’échappée belle où l’humour joue de la gratte ou plus précisément du banjo, en compagnie de personnages au relief décapant, à la geste révolutionnaire et poétique. Nous voilà ainsi plongés dans une narration rocambolesque, rabelaisienne, sorte de joyeux polar où le seul crime de ces héros est d’aimer la vie comme la gomme d’un pneu le goudron…Ainsi, l’humour et l’absurde jouent de la bossa nova dans ce récit où la dérision dresse souvent son chevalet : Parfois, on s’arrêtait pour regarder le temps passer. Et on le voyait passer ! Il y a une sorte de musicalité dans ce rythme effréné où l’on se surprend en flagrant délit d’horizons rebelles et de poésie buissonnière.

Laurent BAYART

  • « L’Etonnant voyage de Cornélius Quentin » (roman) de Jean Humenry, éditions L’Harmattan, 2017.

LIVRE / LA VIE ROMANESQUE D’EDOUARD LIMONOV

C’est à un véritable personnage de roman que s’est intéressé l’écrivain Emmanuel Carrère (le fils de l’Académicienne Hélène Carrère d’Encausse) en rédigeant ce récit de la vie tumultueuse et rocambolesque d’Edouard Limonov. Voyou en Ukraine, idole de l’underground soviétique, clochard, puis valet de chambre d’un milliardaire…Ecrivain/soldat, mercenaire, révolutionnaire, chef d’une bande de skinheads, poète des abysses, tôlard des hôpitaux psychiatriques de l’ex URSS, Barry Lyndon soviétique, érotomane dégingandé, caïd inspiré, responsable d’une feuille de choux Limonka qui émane du parti national bolchevik, dandy de l’élégance et du coutelas…Voici une destinée hors du commun qui régale – littéralement – l’écrivain. Pas facile de raconter pareil phénomène ! La prouesse est incommensurable, on y sent à la fois un zest de répugnance mais aussi une manière d’admiration devant cette sorte de héros, despérados qui peut être aussi considéré comme un salaud.

Les choses ont commencé à prendre un tour bizarre quand le communisme s’est effondré. Tout le monde s’en réjouissait sauf lui, qui n’avait plus du tout l’air de plaisanter en réclamant pour Gorbatchev le peloton d’exécution…

Limonov est d’une force de caractère inimaginable car écumant les prisons comme Lefortovo, Saratov et notamment Engels, l’écrivain (de son vrai nom) Edouard Veniaminovitch trouvera les ressources nécessaires pour ne pas « craquer » en se réfugiant dans la méditation : il apprend à se retirer en lui-même et à atteindre la zone où il est tranquille, hors d’atteinte.

Bref, ce livre/récit d’Emmanuel Carrère est tout simplement fascinant et passionnant car le personnage en vaut le détour. Parfois, et même souvent, il est inutile d’aller titiller son imaginaire, les personnages du quotidien offrant avec générosité l’inspiration des rendez-vous de l’histoire.

Laurent BAYART

* Limonov d’Emmanul Carrère, P.O.L. éditeur, 2011.

BILLET D’HUMEUR / ACTE 50 / RETRAIT’ T’ES !

 

Avant le temps se prenait des envies de passer, d’aller vite…Quoi de plus normal, et puis, pfutt…il s’est mis à fuser et à filer !

En effet, après des années de « vie active » et même hyperactive, voilà qu’aujourd’hui, en ce 1er juillet 2017, je figure désormais sur la liste des « retraités ». Bizarre, ce terme de « retrait », comme si on se mettait soudainement dans la marge, dans la bande d’arrêt d’urgence, comme si…

Ahmed Ferhati, metteur en scène, à l’annonce de mon départ à « la retraite » m’avait écrit (avec bien d’autres complices que j’ai accompagnés depuis tant d’années dans mes fonctions au Conseil Départemental du Bas-Rhin, dans mon rôle de « passeur théâtral », mieux que « conseiller ») un petit mot bien sympa en ajoutant : «  en retraite, oui Laurent ! Mais pas en retrait… » J’ai trouvé ce courriel tout en justesse et finesse, car tant d’années à officier dans le domaine dramaturgique au sein du service culturel de la collectivité (26 ans) et 42 ans dans la littérature, l’édition et la poésie, à se mettre surtout au service des autres. Comment peut-on parler de « retrait » ?…Ce serait une forme de renoncement, d’abandon, bref, un vrai départ voire une fuite…Cela ne correspondrait finalement à rien. Un métier s’éclipse, certes mais pas la passion à l’instar d’un tatouage sur la peau qui a du mal à s’effacer.

La culture a toujours constitué mon viatique, ma planche de salut depuis tant d’années, que mettre ma valise sur la voiture et m’en aller serait presque une forme de débandade, de renoncement. Exil plus que voyage.

La retraite. Temps apaisé, de liberté, d’un espace qui désormais vous appartient entièrement et vous délivre d’une certaine manière de l’emprise des agendas, de l’apesanteur des calendriers, quoi que…

Instants de plénitude, de liberté où l’on devient un artisan du quotidien, à refaire un peu le monde à sa vitesse et ses envies, bref, à son aune. Temps des rencontres retrouvées, des rendez-vous à imaginer, de ce temps qui file et fuse certes, mais en étant guilleret et fécond. Libre, quoi !

Le 1er juillet est souvent une date qui fixe une litanie d’augmentations de tarifs, hausse des prix et caetera. Une belle augmentation de la « qualité de vie » la retraite, non ?

En ce qui me concerne, c’est surtout le premier jour d’un autre temps d’une (re)naissance…Et oui, « retrait t’es ! », presque nouveau né. Ca s’imprime sur une carte de visite, ça ?

Laurent BAYART

1er juillet 2017

EXPOSITION « FAIRE UN DETOUR, UNE QUESTION DE POINT DE VUE » DE MICHEL FRIZ, bibliothèque de Mundolsheim, « L’Arbre à Lire », du 6 au 27 juin 2017.

 

Photographe-cycliste, Michel Friz rédige de la poésie avec ses images. Humaniste en chambre à air et en chambre noire puisque notre ami est aussi photographe, il métamorphose l’instant en y mettant quelques pincées d’éternité. Sa bicyclette est une manière de porte-plume qu’il offre à la générosité de son regard. Ses pérégrinations à vélo sont toujours propices à la rencontre et à l’émerveillement. Il illumine les paysages de son regard d’observateur attentif du monde. Il fait ainsi partie intégrante de ce décor « grandeur/nature » qui lui sert de tableau pour y poser le pastel de ses couleurs en même temps que sa monture. Il pérégrine plus qu’il ne se déplace, voyage en passant subjugué par la beauté de ces rendez-vous qu’il provoque. Ne nous trompons pas, Michel Friz est un véritable poète qui nous remplit l’âme de ses haïkus photographiques. Il sublime l’instant en y posant l’or de sa tendresse. Paysage apaisé, serein, voilà toute la magie de ses photographies qui chantent le temps qui file au ralenti grâce à ses détours inspirés, là où d’autres se jettent, à corps perdu, sur les raccourcis pour aller plus vite…Mais pour y faire quoi ?

Ainsi, surprend t-il, à l’orée d’un champ, de joyeux mariés prenant la pose devant un autre photographe, officiel celui-là, un curieux pêcheur se délectant de la seconde qui s’écoule langoureusement et se moque finalement comme d’une guigne de son hameçon, il semble plutôt attendre l’âme sœur…Qu’en est-il également de ce bolide caisse à savon, cotillon jaune qu’il « flashe » goulument au détour d’une route ?

Prenez le temps de ce lumineux détour qu’il fait aujourd’hui à la bibliothèque de Mundolsheim, question de point de vue, il pose ses photographies entre les ouvrages, les bacs et les rayonnages, histoire d’y faire entrer ses paysages et autres personnages.

Michel Friz est une manière de lutin, il ré-enchante le monde avec ses images en semant des étoiles dans nos yeux. Ses photos racontent une histoire que chacun peut lire et se raconter à sa façon.

Le véritable talent étant de laisser à chacun le soin de poser son propre caillou sur le chemin.

Laurent BAYART

Samedi 10 juin 2017

(photo Michel Friz)

LIVRE / DON QUICHOTTE SUR LE YANGTSE DE BI FEIYU

 

 

Les éditions Philippe Picquier nous régalent régulièrement avec des auteurs asiatiques, notamment coréens et chinois dont le dernier en date est une œuvre de l’écrivain BI Feiyu, né en 1964, qui a déjà publié de nombreux ouvrages. Ce dernier opus se révèle être une véritable petite perle de littérature : Don Quichotte sur le Yangtsé raconte la délictueuse et turbulente enfance de cet auteur atypique. La quatrième de couverture résume bien son écriture : Chaque mot y est dense comme un caillou qui pense…

L’auteur nous conte ses souvenirs épiques, avec une mère institutrice et un père intellectuel et scientifique, qui se retrouvent banni à la campagne. Le récit est classé par thème et foisonne d’anecdotes. Ca ressemble parfois à une espèce de « guerre des boutons » avec l’épisode cocasse du « slip foulard rouge », maillot de bain protégeant des démons de la rivière, sauf que cet appendice était celui des jeunes pionniers du parti…ô sacrilège. On relèvera également les parties de bille avec des…sangsues et le lecteur notera qu’en 1984, aux Jeux Olympiques de Los Angeles, la Chine a remporté sa première médaille d’or de l’histoire grâce à l’athlète Xu Haifeng au tir au pistolet. Enfant, ce petit vendeur de l’Anhui était fou de lance-pierres et passait son temps à viser les oiseaux. Il était devenu un génie en tir en amoncelant des piles de cadavres de moineaux.

Ce Don Quichotte d’Extrême-Orient, maigre et crasseux, est aussi une manière de poète et de philosophe qui rappelle que la Chine, c’est l’endurance de ses paysans. La civilisation chinoise vient de là. Une belle manière de résumer cet immense empire. En guise de conclusion de cette œuvre magistrale, Bi Feiyu nous confie, plein d’élégance, La nature est dans le ciel, dans tes prunelles et dans ton âme. Je suis ce que je vois.

Laurent BAYART

 

* Don Quichotte sur le Yangtsé, traduit du chinois par Myriam Kryger, Editions Philippe Picquier, 2016.