LIVRE/  LES CHEMINEMENTS DE JACQUES LACARRIERE.

Nouvelle version d’un livre « pédestre », signé Jacques Lacarrière, qui raconte le long « cheminement » d’un périple qui l’a mené de Saverne dans les Vosges jusqu’aux Corbières à la lisière de l’Espagne, en août 1971. Chemin faisant raconte cette traversée de quatre mois, tout en enchantement et en rencontres au rythme d’une marche soutenue. L’écrivain avoue : j’ai marché pour l’unique plaisir de découvrir au fil des jours et des chemins un pays et des habitants qu’au fond je ne connaissais fort peu. Il raconte avec délectation ce culte de la lenteur retrouvée lorsque, par exemple, les gens s’arrêtent le long du canal de la Marne au Rhin afin d’observer le passage d’une péniche dans une écluse. Spectacle de la nonchalance. Le pérégrin inspiré raconte que le pire ennemi étant les « chiens aboyeurs » qui feront office de chardons et de ronces à crocs, tout au long de sa paisible déambulation. On n’imagine pas le nombre de chiens qu’il peut y avoir en France. J’en ai rencontré partout, dans les jardins, devant les maisons particulières, dans les cours de fermes, dans les prés et jusque sur les routes les plus éloignées. Jacques Lacarrière aura appris le goût de l’eau des sources et des rus. C’est un goût qu’on oublie avec les eaux javellisées de nos villes. Ici, les sources ont un goût de terre, un goût d’ombre encore vierge…/…J’ai appris aussi à reconnaître un filet d’eau selon son bruit. Car le ru chante à peine. Il coule sur des terrains très peu pentus, avec un cours nonchalant qui se traduit par un murmure. L’impénitent marcheur constatera aussi, un peu amer : l’indifférence et l’égoïsme des Français, leur méfiance et même leur hostilité à l’égard de tous ceux qui voyagent ou qui se déplacent sans être touristes ou vacanciers. Par contre, notre ami fera l’éloge de la boulangère toujours accorte : Partout, j’ai rencontré des boulangères aimables, avenantes, prêtes à venir en aide, au point que par la suite, à chaque difficulté, je me dirigeai droit vers la première boulangerie venue… La marche permet de retrouver une humanité perdue, une fraternité de l’instant, une échappée de lumière dans un monde qui grouille à la vitesse des courriels : Quand on marche, n’est-on pas l’ami de tout le monde ? Quelle magnifique et sublime réflexion ! La sagesse vient en marchant, on le savait déjà un peu, l’écrivain nous le confirme. Sismographe des émotions et des sensations, il constate aussi que les routes sont devenues de véritables cimetières d’animaux : Il faut marcher, mètre par mètre, pour se rendre compte du nombre incroyable de bêtes tuées et écrasées par les voitures. Hérissons, crapauds, oiseaux, escargots…/…Ainsi marquée de taches, d’auréoles, d’écrabouillis de toutes couleurs, l’asphalte ressemble à ces ardoises ou à ces schistes empreints de mille fossiles et où se lit l’histoire d’un sol.

Ce livre est une ode à une certaine forme de lenteur, celle qui offre l’humanité des proximités et des connivences, manière de voyager sans zapper les paysages mais en s’y nourrissant. Et l’écrivain de conclure : Les itinéraires choisis librement sur la carte, l’errance improvisée sur le grand portulan des chemins, le miracle de tous les imprévus – il faut ajouter cette libération du temps comme si les heures, échappées du morne sablier des rendez-vous et des calendriers, prenaient une substance, une épaisseur qui leur soient propres.

                                                                                                              @ Laurent BAYART

* chemin faisant suivi de La mémoire des routes de Jacques Lacarrière, Fayard, 2016.

 

2 réflexions sur « LIVRE/  LES CHEMINEMENTS DE JACQUES LACARRIERE. »

  1. Grand livre libérateur et qui trône encore sur mon bureau. Il a nourri mes chemins. j’ai eu le bonheur de partager quelques repas avec ce gourmand de la vie, peu de temps avant son dernier chemin. Invités par Michel Le Bris par deux fois aux Festival Etonnants voyageurs de Saint Malo ; j’y chantais Stevenson et lui déambulait et gouttait l’instant. La vie en chemin. Cher Laurent merci de remettre ce « chemin faisant » sur nos routes, il est salvateur.

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