LIVRE / UN PETIT CHEF D’ŒUVRE QUI NOUS VIENT DU TATARSTAN.

          C’est un livre fleuve à l’image de l’Angara qui coule aux confins de la Sibérie, écrit par une (jeune) auteure née à Kazan au Tatarstan en Russie (non loin de Tambov) : Gouzel Iakhina. Nous sommes en 1930 et elle nous raconte la vie de Zouleikha, mariée à quinze ans à un homme (Mourtaza qui mourra assassiné) bien plus âgée qu’elle et soumise comme une esclave. Arrive ce qu’on appelle la « dékoulakisation » menée par Staline (koulak : riche propriétaire paysan), c’est-à-dire la déportation en Sibérie, d’abord, dans des wagons puis en péniche (qui finalement coulera)…Interminable voyage dans les confins durant lesquels beaucoup périront. Cela fait longtemps déjà qu’il a remarqué que les gens meurent pendant les arrêts. Peut-être que les roues, avec leur roulement bruyant, éperonnent les cœurs fatigués ; que le balancement des wagons apaise. 

Rondement menée, la narration nous entraîne dans ce grand charivari humain où l’homme ne constitue qu’un fétu de paille face aux grands bouleversements et aux totalitarismes, les terres étant « réquisitionnées », les biens et les céréales volés comme des « impôts alimentaires » par la « horde rouge ». L’histoire sort ainsi son rouleau compresseur et lamine ses propres enfants. Ainsi, la gare de Kazan est, pour toute la Russie, une fenêtre vers la Sibérie…en vue de l’établissement d’une colonie perdue dans les limbes du vaste empire soviet. 

Dans ce récit « fleuve », Zouleikha rencontrera sa destinée par le biais de personnages qui marqueront le récit, tel le commandant Ivan Ignatov, mais aussi le médecin humaniste Wolf Karlovitch dit Leibe,  Kouznets ou sa belle-mère, la Goule, effroyable statue de commandeur…

Zouleikha élèvera un enfant chétif qu’elle sauvera du chaos et du hachoir humain : Youssouf. Pour le reste, les dernières pages, passionnantes, révèleront les clefs d’une destinée à facettes où les personnages ouvriront les portes de mystères que nous n’avions même pas imaginés…

Tout simplement, un petit chef d’œuvre.

Laurent BAYART

Zouleikha ouvre les yeux de Gouzel Iakhina, traduit du russe par Maud Mabillard, Les Editions Noir sur Blanc, 2017.

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