Faut-il le rappeler ? Le théâtre est lieu de l’essentiel. Il raconte cette ligne de fracture/ partage des eaux des destinées humaines. Catherine Javaloyès (voir articles précédents sur le site), metteur en scène et responsable de la compagnie alsacienne Le Talon rouge, nous le remémore avec justesse. Elle vient de présenter « La campagne » de l’auteur anglais Martin Crimp. Un palpitant moment de théâtre où la prouesse du trio de comédiens nous offre le frisson des moments rares.
L’histoire de Corinne et de son époux Richard, médecin généraliste, pourrait ressembler à une feuille de papier musique où les trous entreraient tout « naturellement » dans le système d’un orgue de barbarie (ô la bien nommée !), s’il n’y avait de jolies paires de ciseaux (en couleur) pour taillader la belle harmonie. Un soir, le mari ramène au logis familial une (belle et sensuelle) rescapée d’un naufrage…Et voilà que l’eau du robinet n’a plus le même goût et l’agencement des meubles se trouve tourneboulé. La si douce terre campagnarde devient une zone sismique qui fissure le beau miroir des apparences et autres convenances. Le jeu devient celui du massacre et les ciseaux, tronçonneuses…
Outre l’incroyable densité du texte, la rythmique du jeu, le décor dépouillé, la chorégraphie des lumières, on appréciera – peut-être avant tout – la prouesse des comédiens : Nancy Guyon, François Kergoulay et Catherine Javaloyès. Duos au tac au tac, ricochets, dialogues en enfilades/estafilades, ahurissants face à face qui font l’indéniable réussite de cette pièce. Epoustouflante dramaturgie où les « culs-de-sac et autres évitements » mènent à cette frénétique partie de ciseaux-frénie… Là où une grosse pierre s’installe à l’endroit du cœur et de l’amour.
Laurent BAYART
« La campagne » de Martin Crimp de la compagnie Le Talon rouge, mise en scène de Catherine Javaloyès. Taps Laiterie à Strasbourg, représentation jusqu’à dimanche 9 novembre à 17h.
Contacts / talonrouge@free.fr