Cet ouvrage « Karpathia », premier roman de Mathias Menegoz, a obtenu le Prix Interallié en 2014, et se passe en Transylvanie en 1833. Il constitue une impressionnante fresque narrative de plus de six-cents pages qui se déroule dans une Roumanie (la Korvanya, contrée isolée au fin fond d’une vallée sauvage) qui n’existe pas encore, aux confins de l’empire d’Autriche où vivent de nombreux peuples ; seigneurs magyars, serfs valaques, Tziganes et bourgeois saxons. L’ouvrage raconte, à la manière d’une odyssée picaresque, les aventures tumultueuses du comte Korvanyi, qui va bouleverser les hiérarchies et les codes, accompagné par Cara, sa jeune épouse autrichienne. Cet ancien soldat de l’Empire est revenu pour prendre possession de ses terres, non sans se heurter à une population hostile et à de nombreuses vicissitudes. Belle description, à l’entame du livre, d’un duel où le sens de l’honneur fait parler la poudre et où le personnage prend déjà sa stature de héros.
Dans ces contrées reculées de la sylve carpatique, des disparitions d’enfants jetteront le trouble et l’effroi : Très vite, l’idée de la culpabilité des Tziganes l’emporta sur la théorie de la fugue et sur celle de l’attaque d’un loup. Bien sûr, le décor et le château en couverture nous font penser au personnage de Dracula : Le vampire avait un rôle ambigu dans l’imaginaire des Valaques : le personnage historique à l’origine du mythe de Dracula était le prince Vlad Tepesh (Vlad l’empaleur) qui régna sur la Valachie au XVème siècle. Il avait notamment fait faire demi-tour à une armée ottomane en faisant empaler vingt mille prisonniers turcs…/…Ce prince sanguinaire était un grand héros des peuples de langue roumaine.
Dans cette histoire menée à un train de rapières, sont évoqués les Szeklers, paysans-soldats parlant le hongrois, cultivant et gardant les confins orientaux de la Transylvanie. Ces derniers étaient traditionnellement mobilisables en cas de guerre et de menaces d’invasion.
En résumé, je reprendrais l’analyse d’un lecteur : Mathias Menegoz m’a vraiment impressionnée pour ce premier roman. Non seulement parce qu’il ressuscite un monde qui n’existe plus avec une langue qui ne cède pas une once de terrain aux modes littéraires. Mais aussi parce qu’à travers son écriture scrupuleuse, attentive aux infimes aspérités de la matière comme aux destins individuels, on décèle très vite une certaine qualité du regard. Il y a une forme d’acuité psychologique chez l’auteur qui donne beaucoup de finesse à la narration.
J’ajouterais aussi la présence de quelques maladresses, longueurs et de nombreuses répétitions, mais ce livre nous entraîne néanmoins dans un souffle narratif épique, voire époustouflant qui nous font oublier ses erreurs de jeunesse.
Cette véritable épopée raconte d’une manière romanesque et originale la vie de personnages historiques, ainsi que des lieux et un territoire qui ne porte pas encore le nom de la Roumanie, mais qui chante déjà l’âme d’un pays qui va naître.
©Laurent BAYART
- Karpathia de Mathias Menegoz, P.O.L. Editeur 2014.