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FICA 2019/ DES SOURIRES EN CINEMAS D’ASIE SUR VESOUL

Martine et Jean-Marc Thérouanne, vingt-cinq ans de passion partagée.

Toc toc toc. Presque les trois coups de balai sur le plancher  en bois comme pour le théâtre. Et, c’est parti pour un « intérieur/nuit » d’une bonne semaine. Vesoul nous affrète ses plus beaux atours, sourires en travelling et plan large. L’Asie va faire son cinéma dans les salles obscures du Majestic et semer ses pellicules étoilées dans les rues, les murs, officines, vitrines et sur les bus vésuliens. La Motte marche en Sabot telle une princesse des mille et une nuits. Le conte de fée peut commencer. La Haute-Saône se transforme en steppes eurasiennes et en fabuleux caravansérail. Histoire de faire de chaque spectateur un aventurier de la route de la Soie. Merveille des cinémas venus d’ailleurs qui nous éblouissent et nous émerveillent en version originale et sous-titrée.  Quelques (petites) heures encore à patienter et le générique de l’édition 2019 du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul va retentir sous les lambris du théâtre Edwige Feuillère. C’est Hollywood en plus chaleureux, convivial et sans smoking, ni manière.

Une façon d’humanité retrouvée. Vingt-cinq ans, un quart de siècle et la passion qui pose ses majuscules sur l’écran blanc que les bobines et les projecteurs vont transformer en palette de couleurs qui bougent à la vitesse de la lumière ou presque…

                                                                               @ Laurent BAYART

  • 25èmeFestival International des Cinémas d’Asie de Vesoul, du 5 au 12 février 2019. 
  • www.cinemas-asie.com

VOYAGE EN FICASIE A VESOUL, LA CAPITALE DU FESTIVAL DU FILM ASIATIQUE, EN NOCES D’ARGENT.

Et nous revoilà replongés en « intérieur/nuit » dans cette capitale asiatique qu’est devenue Vesoul en Haute-Saône. La 25ème édition du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul va étaler son long tapis noir de pellicules, à l’image de celui tout en rouge de Cannes, du 5 au 12 février. En moins snob et no smoking.

Rendez-vous devenu incontournable, chaleureux, convivial et truffé de pépites cinématographiques.  Cet événement, dédié au septième art asiatique, pose la virgule de son sourire sur la bobine des festivaliers, ravis de revenir chaque année se plonger dans la nuit magique de cet événement majestueux ou plutôt Majestic ! Somptueux cinémas qui déroulent la romance de leurs images en version sous-titrée. Voyages au long cours dans les paysages époustouflants de l’Eurasie, aux confins de l’imaginaire. Voilà que chaque spectateur est convié à faire sa propre route de la soie. Caravansérail en technicolor. Il en faut des trésors de passion, de patience, de curiosité et de rencontres pour présenter autant de productions en un quart de siècle : 1 600 films, 600 000 spectateurs et 550 réalisateurs, acteurs, producteurs et journaliers du cinéma. C’est finalement tout un continent qui se trouve représenté au pied de la Motte (pas la Grande !) et du Sabot. Une ivresse de plaisir à faire la queue à la lisière des salles, à papoter et se raconter le film précédent, à consulter son programme et à piaffer d’impatience dans l’attente d’aller découvrir le prochain bijou. Faisant fi des pop corn, on dégustera –en couleur locale-, qu’on se le dise, des rouleaux de printemps !

Le ticket aussitôt déchiré par le contrôleur-bénévole, vous pourrez pénétrer dans la salle en gradins, comme on franchit une guérite de douane. Vous voilà déjà dans un autre pays ! Venez vous asseoir dans les confortables fauteuils rouges du multiplex. Petite causerie avec le réalisateur, carnet de note et traduction instantanée. Présentation enflammée, pleine d’humour et d’érudition du spécialiste Bastian Meiresonne qui adresse son mythique et tonitruant « Bonjour Vesoul ! », et on lance le film. C’est parti pour le générique et sa musique…

Le monde est si beau lorsqu’il nous fait son cinéma. Et cela fait 25 ans d’amour en noces argentées.  Tant de fidélité méritait bien un bel hommage. Celui rendu au couple fondateur Martine et Jean-Marc Thérouanne qui ont mis l’Asie et son art cinématographique à portée de doigts, comme une alliance…V’Asie ! Aurait chuchoté Roméo à Juliette…en chinois, persan ou coréen ?

@ Laurent BAYART

  • 25 ème Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul, du 5 au 12 février 2019.
  • www.cinémas-asie.com

LIVRE A METTRE ABSOLUMENT AU PANTHEON DE LA LITTERATURE VELOCIPEDISTE : LA BURLESQUE EQUIPEE DU CYCLISTE DE H.G. WELLS.

Paru en 1906, ce livre du génial écrivain Herbert George Wells (La guerre des mondes, L’homme invisible…) est un petit bijou de littérature cycliste, mais pas que…

Je viens de lire avec ravissement et enchantement La burlesque équipée du cycliste qui nous emmène dans une entame de siècle où l’on découvrait alors les vertus de cette petite reine, devenue moyen de communication et de rencontres (amoureuses), permettant aussi aux classes ouvrières de s’émanciper et de prendre l’air sur les routes anglaises. On se souvient du livre référence Voici des ailes de Maurice Leblanc dont on a tant vanté les mérites, mais cet ouvrage-là, à mon sens, est une véritable pépite, un braquet bien supérieur pour employer un terme cycliste.

 Cette comédie guillerette raconte les aventures rocambolesques et picaresques de Hoopdriver,  jeune employé de tissu londonien  qui va prendre quelques jours de congés afin d’aller goûter à la grande aventure d’une randonnée cycliste sur la Southern Coast.

Et voilà notre Don Quichotte en chambre à air, gauche et maladroit, (roi de la gamelle !) partant à l’aventure malgré un nombre incalculable de blessures aux genoux et de « chromes » sur l’épiderme. Son tube d’arnica sera une manière de faire foi du cachet de la poste ! Coup de foudre, à défaut d’un coup de pompe, à la vue de cette « jeune dame en gris », la susnommée Jessie, mineure enlevée par un chevalier à la triste figure de son aristocrate famille. Notre petit employé se transforme en justicier, chevalier et limier à la manière d’un Sherlock Holmes en chambre à air. La bicyclette lui permettra d’aller au-delà de sa petite condition et de se métamorphoser !

Incroyable fantaisie et drôlerie dans cette écriture pleine d’allant et de bonne humeur.

Belle histoire d’amour aussi sur fond de paysages pittoresques et rencontre impromptue d’une jeune bourgeoise avec un petit ouvrier. Révélation de deux mondes qui se percutent. Et, comme toute (belle) histoire à une fin, chacun  regagnera son monde, mais la jeune fille glissera ce sage conseil à son preux bicycliste : Travaillez. Cessez de baguenauder avec la vie. Vous avez prouvé que vous êtes doué de courage, de volonté. Mettez-vous à l’œuvre.

Il y a des rencontres (en bicyclette) qui changent les destins…

                                                                                       @ Laurent Bayart

* La burlesque équipée du cycliste de H.G. Wells, Folio, 1984.

IDISS, L’EMOUVANT HOMMAGE DE ROBERT BADINTER A SA GRAND-MERE.

I

Récit d’un singulier destin d’une femme et famille juives qui émigrèrent, de l’ancien empire russe de Bessarabie, dans la France des Lumières, fuyant la révolution russe et les pogroms de Kichinev. Née en 1863 dans ce qu’on appelait alors le Yiddishland, à la frontière occidentale de l’empire russe, devenu ensuite territoire roumain. Idiss vivait alors dans ce qu’on surnommait un shtetels, village peuplé de juifs dans la Russie tsariste. Epoque où l’on parlait le yiddish sur un territoire qui recouvrait la Lituanie, la Pologne, l’Ukraine, la Hongrie et la Roumanie,  rassemblant une diaspora de onze millions de juifs unis par cette même langue.

Emouvant ce livre avec en couverture la photo sépia en médaillon d’Idiss, la grand-mère maternelle de Robert Badinter, ancien ministre de la justice et ex-président du Conseil constitutionnel, qui rend ainsi un vibrant hommage à cette femme au destin singulier, mais aussi à un peuple inexorablement persécuté.

C’est ainsi qu’avec tendresse Robert Badinter dresse le portrait de cette femme qui – pour subvenir aux besoins de sa famille – fut contrebandière (de tabac !) bien malgré elle. Il raconte leur installation à Paris, puis à Fontenay-sous-Bois et Nantes, son père Simon devenant négociant de fourrure. Aléas de cette famille d’émigrés qui prend bien vite la mesure de la vie parisienne. La France est alors une terre d’accueil. Les anciens Russes s’intègrent parfaitement et sont reconnus « citoyens français de confession israélite », montrant par là qu’ils étaient des Français, « juifs seulement par leur religion ». Bonheur fugace de l’entre-deux guerres où les bruits de bottes commencent à nouveau à se faire entendre dans cette Europe qui concocte l’un de ses plus grands carnages. Brouhaha de l’histoire qui s’emballe avec l’Occupation allemande et les lois et décrets du gouvernement de Vichy à l’encontre des Juifs (dont la liste figurera en fin de volume). Son père et son oncle Naftoul seront déportés, comme tant d’autres, et ne reviendront jamais…

Ce récit poignant retrace une époque étranglée qui –hélas – ressemble un peu à celle qui se déroule aujourd’hui sous nos yeux, avec les montées de l’intolérance, des nationalismes et des actes de xénophobie. L’histoire serait-elle donc toujours un éternel recommencement ?

Le bonheur, une fine pellicule de papier que l’on froisse et déchire si vite…Les livres ne sont-ils fait que pour brûler ?

@ Laurent BAYART

* Idiss de Robert Badinter, éditions Fayard, 2018.

HORS SERIE SPORT & VIE/ LA DANSE COMME ON N’EN PARLE JAMAIS.

 

Le dernier hors série du magazine Sport & Vie est tout simplement passionnant, dédié entièrement à la pratique de la danse, il sort totalement des sentiers battus pour nous emmener faire du « hors piste » !

On sait que depuis des temps immémoriaux, les êtres humains dansent comme si cette activité était indispensable à leur survie, et plus loin d’affirmer : Les êtres humains sont nés pour courir, disions-nous plus haut. Et s’ils étaient aussi nés pour danser ?  En effet, la danse se révèle être un langage de communication qui ne trompe pas, à l’inverse de la parole : La musique et le chant visent moins à transmettre des idées ou des messages que des affects et des émotions qu’on peut lire sur le visage des gens. De plus, elle permettrait de maintenir une cohésion de groupe, une osmose entre les individus. Bref, une  véritable communion sociale.

 Ce numéro traite de nombreux aspects de la danse, des thèmes passés souvent sous silence. Si le grand public est bien au courant des dérives liées à l’anorexie, il connaît moins les confondantes pratiques du dopage à faire pâlir cyclistes ou rugbymen ! Et là, on tombe littéralement sur les fesses ! (Loupée la réception !) Car ceux qu’on surnomme les athlètes de Dieu sont gavés aux stimulants, diurétiques, amphétamines, stéroïdes et drogues récréatives. Bref, c’est plutôt le pandémonium !  Cocaïne et cortisone permettent aussi de palier aux innombrables blessures engendrées par la pratique de la danse. Les compagnies de ballet professionnel rapportent un  taux de blessures annuel de 67 à 95% !La danse s’affirme donc comme une pratique sportive qui nécessite un entraînement de spartiate. En danse, on doit savoir quelle image on propulse dans l’espace, à chaque instant,ce qui différencie avec la pratique sportive du compétiteur dont seul le résultat du tableau d’affichage compte.

On y apprend que Cuba est l’endroit au monde où l’on danse le plus, que la Russie est une terre de danse grâce à Pierre le Grand, fondateur de Saint-Pétersbourg, puis de l’impératrice Catherine II qui lança la construction du Bolchoï (qui signifie grand théâtre) et Strasbourg, la ville où une épidémie de danse a rendu fou (lire Jean Teulé Entrez dans la danse).

Cette revue nous fait entrer de plain-pied dans la chorégraphie, sous la gouverne de son saint patron,  Saint Guy…On achève bien les chevaux !

                                                                                                              @ Laurent BAYART

* Sport & Vie, hors-série numéro 49 « La danse comme on n’en parle jamais ». 7,50 Euros.

 

BILLET D’HUMEUR / ACTE 66 / STRASBOURG OU DES FEUX QUI RONGENT LES CŒURS ET LES CORPS.

(photo Némorin, Erik Vacquier)

           Il y a des feux, il y a le feu en nous. Ce soir, les gobelets de vin chaud, ses odeurs d’épices et les lampions de la fête ont été chahutés par les urubus de la destruction aveugle. Obsession de toujours tuer. De répandre l’horreur dans les rues illuminées par la liesse. Rendez-vous des humanités joyeuses dans les ruelles de la ville. Les santons de la crèche ont été fracassés. Ce soir, le père Noël est accablé. Affligé par les enfants fous de l’apocalypse, habillés de noir. Le vieillard, tout en bonhommie, a déposé sa hotte et son manteau rouge. Bien trop lourds à (sup) porter. Feux comme des coups de pétard qui hachent les corps qui étaient – jusque là – en goguette. Coups de poignards lacérant le drapeau blanc où flottait la paisible colombe de toutes les paix. Les mots et les paroles sont impuissants,voire inaudibles face à l’abject. La cathédrale semble pleurer des larmes de grès. Sa flèche majuscule se veut être une ode à la tolérance, elle ne comprend pas ce qui se passe plus bas. Ses archanges en pierre, dans les voussures et les tympans du portail, prient dans la lumière/ tabernacle du crépuscule. Ce soir, une immonde gargouille a joué les oiseaux destructeurs et s’est pris de folie. Jusqu’où iront ces ombres ? Démons humains à toujours vouloir semer le désastre ?

Ce soir, les bougies et les cierges se sont allumés. Il faut l’ivresse du soleil pour redonner de l’âme à ces rues balayées par les cyclones de la mort. Notre Dame de Strasbourg prie dans sa robe rose de dentelles des Vosges.

Ami, écoute le doux chuchotement de cette prière qui vient apaiser nos âmes meurtries et éteindre les incendies allumés par les enfants aveugles du néant.

Ce soir, notre prière est plus puissante que leurs cris de haine.

                                                                                                               @ Laurent Bayart                                                                                            

                                                                                 Strasbourg / 11 décembre 2018

 

LIVRE / PASSEPORT POUR SEOUL

 

Patrick Maurus est (ou était) conseiller culturel à Séoul et maître de conférence, il a fait paraître, en 2002, un livre intéressant sinon passionnant sur Séoul. Occasion pour nous d’aller arpenter la capitale de la Corée du Sud par le biais de ce livre comme un sauf-conduit : la littérature. La deuxième partie est justement jalonnée d’extraits de textes d’auteurs qui « racontent » cette ville où coule le fleuve Han : Ah, vous ! Encore cette vieille rengaine du fleuve Han ! Et depuis quand les poèmes et les rivières ont-ils une nationalité ?… /…les poèmes sont écrits pour ceux qui ont des larmes et les fleuves coulent aussi pour eux…

L’auteur de citer en liminaire Walter Benjamin : le vrai problème dans une ville n’est pas de s’y retrouver, mais de s’égarer…et Maurus de rajouter, s’agissant de Séoul, que le touriste, qui sera perturbé par tous les noms illisibles que lui offre le manuscrit de la ville, le sera au point de ne pas s’apercevoir qu’il n’y a même pas de noms de rues…en rajoutant – à toute fin utile – un tableau de l’alphabet coréen ! Plus loin, il écrira comme une manière de description : Ville moderne, tentaculaire, kilomètres de barres d’immeubles, quelques beaux palais et musées…et de nous révéler l’origine du nom de Corée : De celui de l’avant-dernière dynastie, Koryo…./…Au nord, Choson (matin clair), au sud Han’guk (pays des Han). Et de compléter avec Sorabol, parlant de Séoul, signifiant plaine. Voici pour une petite leçon d’histoire et de linguistique. Toujours instructif l’origine des noms !

Voilà pour cette petite déambulation onomastique et littéraire dans les larges avenues de cette mégapole,  avec  l’aide d’une petite carte du centre, extraite de l’édition du Petit Futé de l’époque. Entre temps,  la ville a dû encore bien changer. Les métropoles étant comme des adolescents dont la croissance n’arrête jamais…

                                                                                                              @ Laurent BAYART

* Passeport pour Séoul, visite et aperçu littéraire proposés par Patrick Maurus, Actes Sud, 2002.

LIVRE / LE POINT (PRESQUE) FINAL DE JEAN D’ORMESSON

 

      Pétillant d’élégance et d’érudition, Jean d’Ormesson, décédé en décembre 2017, laisse une œuvre conséquente et notamment un dernier livre paru juste après sa mort, comme un petit clin d’œil adressé à ses lecteurs. « Et moi, je vis toujours » nous entraine dans l’incroyable maelstrom de l’histoire de l’humanité et des hommes, par l’intermédiaire de ce juif errant dont il emprunte les mots : Oui, c’est moi, mes enfants / Qui suis le Juif errant…/Chacun meurt à son tour/ Et moi, je vis toujours.

Et nous voilà partis dans une folle équipée universelle, avec ce Juif errant qui joue le rôle de passeur et personnage interchangeable à travers les siècles, en passant par la Mésopotamie, berceau de l’écriture : C’était une invention nouvelle : l’écriture. Les paroles ne restaient plus comme suspendues en l’air dans le temps : elles se fixaient dans l’espace sur le bois ou la pierre, plus tard sur du cuir ou sur des papyrus. Et nous voici plongés dans le tourbillon de l’histoire humaine avec ses guerres, génocides et ruines fumantes, Tacite résumant bien cette perversité à détruire : Où ils ont fait un désert, ils disent qu’ils ont fait la paix. Et plus loin, Jean d’Ormesson d’évoquer les grandes plumes et autres esprits du siècle des Lumières qui ont fait briller l’esprit français sur le monde.

Ce livre est tout simplement magistral, comme un point final posé sur une œuvre qui ne cesse de nous parler, car cet écrivain vit toujours en nous. Il offre aux inconnus, qui ont traversé le temps, une sépulture car –dit-il – je suis ceux qui ne comptent pas dans les livres – et pas même dans celui-ci. Je suis ceux dont personne ne s’occupe dans leur vie et dont personne ne se souvient après leur mort…

Dont acte. Le distingué allumeur d’étoiles nous offre une dernière bulle de champagne avant de s’éclipser.

                                                                                                              @ Laurent BAYART

* Et moi, je vis toujours, roman, de Jean d’Ormesson, éditions Gallimard, 2018.

BILLET D’HUMEUR / ACTE 65/ RESTER DEBOUT

 

 

 

                                 (photo Némorin, Erik Vacquier)

        Sommes-nous encore capable de savourer la grâce de l’instant ? Nos pas s’en vont toujours plus vite vers demain. Nous ne percevons plus le paysage qui défile, tel un rouleau de décor de théâtre de marionnettes. Nous sommes devenus des trains/lucioles filant à grande vitesse,  traversant les mondes et les civilisations que nous ignorons avec superbe. Fourmis coureuses qui n’ont plus conscience de cette humanité qui constituait notre placenta protecteur. Nous l’avons percé. L’eau s’est échappée et la terre est devenue un territoire inconnu. Nous voyageons dans la vélocité de l’éphémère. Pris par l’ivresse des raccourcis qui désenchantent la planète et ne mènent  finalement qu’aux confins des impasses.

Nous sommes devenus étrangement absents. A envoyer sans cesse des mails à nos chats et des sms à nos chiens. Tandis que sur nos boîtes vocales, nos voix semblent être des apparences de lumières, à l’image de celles des étoiles qui arrivent jusqu’à nous par les sentes noires du cosmos, mais qui n’existent désormais plus…

Où sommes-nous donc passés ? Dieu nous cherche désespérément. Prenons le temps de nous asseoir sur ce banc avant qu’une tronçonneuse ne le découpe et qu’un bûcheron ne l’achève. Il devient urgent de se mettre en mode pause et de songer à notre sauvegarde.

Sinon, il nous faudra encore et encore marcher. Dans l’obligation de rester toujours debout jusqu’au bout. Les cimetières seront nos porte-manteaux. Nos âmes accrochées à la grande penderie du ciel.

                                                                                                                 @ Laurent Bayart

 

BILLET D’HUMEUR / ACTE 64/ IL NE TIENT QU’A NOUS…

(photo de Némorin, Erik Vacquier)

          Ah, que reviennent les temps du vagabondage, de la fuite de l’instant et des mots qui inventaient des rencontres fortuites. Retrouver le goût de l’essentiel, écrire sur l’aiguillon d’une plume, un peu comme une ballerine se hisserait sur la pointe de ses pieds pour accomplir le ballet d’une danse magique. Ecrire avec l’encre de ses lèvres et offrir la grammaire d’un sourire adressé au passant que l’on croise. Fraternité des hommes qui se mettent de nouveau à chanter et à espérer en des jours meilleurs. Ne pas abandonner le martèlement sourd du bruit des bottes aux militaires et le grondement infernal des chenilles aux tanks. Ne pas les laisser menacer ceux qui restent debout et portent encore des rêves dans leurs pupilles.

Ah, que reviennent les temps de l’espérance, de la beauté des regards échangés et de l’amour prodigué à l’enfant, pris comme une chance et non pas un fardeau ou une charge. Respecter cet arbre- planète – qui nous porte (et supporte) depuis si longtemps car sans lui, que serions-nous ? Son écorce raconte notre ancestrale histoire et la généalogie de nos existences. Elle constitue notre plasma dans lequel sont gravées nos silhouettes. Sans ses branches, nous serions manchots de toute vie.

Ah, que reviennent ces envies de changer le monde et de chahuter l’ordre devenu une façon de dictature en nougat mou. Chloroforme de l’endormissement. Les moniteurs et autres écrans constituent notre anesthésie quotidienne.

Demain peut encore être un rendez-vous et non pas un jour biffé sur l’éphéméride.

Il ne tient qu’à nous de changer le monde. Un seul rêve peut bousculer la litanie des nuages qui promettent le déluge. Un peu d’amour ? A l’instar d’un soleil qu’un météorologue prévisionniste n’aurait pas vu venir…Ses lumineux rayons l’ayant rendu aveugle.

                                                                                                              @ Laurent BAYART