LIVRE / L’INCROYABLE QUETE/ENQUETE DE GREGOIRE BOUILLIER, VOYAGE DANS LA GENEALOGIE ET L’HISTOIRE.

          Cet ouvrage est un véritable pavé de 900 pages mais surtout une talentueuse épopée qui nous plonge au cœur d’un hallucinant et sulfureux fait divers qui s’est passé en août 1985 : une femme s’est laissé mourir de faim chez elle, pendant quarante-cinq jours en tenant le journal de son agonie. L’auteur, un orfèvre des mots et de l’écriture journalière, entend le récit de ce drame sordide à la radio. Ceci lui reste dans les oreilles et dans l’âme pendant des années et des années. Le voilà qu’il plonge à corps perdu dans la vie de cette femme, ancienne mannequin chez le couturier Jacques Fath et de restituer la vie de cette sombre héroïne dont on retrouva le corps seulement dix mois plus tard, et cela se passe dans un immeuble en plein cœur de Paris. 

L’écrivain part à la quête de cette femme, comme un détective privé, un généalogiste et un historien, écumant tous les documents de l’époque, de la presse écrite mais aussi de l’INA (Institut National de l’Audiovisuel), épluchant des monceaux et fatras de documents afin de faire revivre le présent de ces vies passées et parfois fracassées. Au fil de ce récit, il recolle les bouts de vies, les rencontres, les fratries, les anciennes photos, les amours de ces personnages  reprennent ainsi forme et existence. Grégoire Bouillier est littéralement possédé et investi par Marcelle Pichon, cette femme qui décida de se suicider d’une manière atroce, semblant étrangement le guider dans cette incroyable quête/enquête, inventant même avec beaucoup d’humour une agence de détectives privés travaillant pour l’auteur !

Celui-ci, par mimétisme, creuse en parallèle dans son propre passé qui se dévoile et se décrypte au fil de ce récit/journal : A quoi bon écrire si c’est pour que le monde continue de tourner comme si de rien n’était ? nous lâche-t-il. Et plus loin, ironique il rajoute cette citation de David Di Nota : Le corollaire de l’idéologie du « vivre ensemble », c’est de mourir seul. Cet ouvrage est une véritable encyclopédie en marche qui nous apprend une foultitude de choses en passant par un tas de détails qui restituent les chromos de l’époque : la coiffure (le père de Marcelle exerçait ce métier), le Berry, les journaliers, l’épuration, l’occupation, l’onomastique et l’origine des noms et prénoms, le tourbillon des chiffres concernant les divorces et les métiers exercés à l’époque : On comprend que, dès la fin du conflit, les demandes de divorce aient explosé en France : près de 18.000 en 1946, contre environ 9.300 en 1938…

Me voyant pris d’une frénésie généalogique confinant à l’hystérie pour une famille qui n’est même pas la mienne, il m’est soudain apparu que, sous couvert de Marcelle Pichon, je compensais maladivement les lacunes de ma propre histoire…Avoue l’écrivain.

Il ira même jusqu’à écumer tous les cimetières de Paris et des environs pour la retrouver…Quête qui tourne à la folie dont il jouxte d’ailleurs d’une manière dangereuse…Avec cette phrase lancinante, extraite de son carnet d’agonie : la langue, c’est un escargot qui dégorge dans du sel…

Ce livre est un exercice atypique et singulier d’un auteur pris de frénésie de recherches et qui remue l’histoire par les détails, en faisant revivre les fantômes du passé. Grégoire Bouillier est plus qu’un écrivain, c’est un immense arpenteur d’histoires qui vient rallumer les lucioles éteintes pour éclairer le présent.

                                                                      © Laurent BAYART

  • Le cœur ne cède pas de Grégoire Bouillier, Editions Flammarion, 2022.

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