Quand on connaît l’état des routes (ou des pistes) au Brésil, on se demande si l’entreprise de Laurent Salinier-Auricoste ne s’apparente pas à une tentative de suicide. En effet, relier Cayenne en Guyane à Rio de Janeiro au Brésil en vélo, c’est-à-dire se taper 6.982 km en chambre à air, à travers une partie de l’Amazonie, représente un pari fou et risqué, surtout lorsqu’on sait que les conducteurs de trucks ou d’automobiles font peu de cas de ces allumettes – que sont les hypothétiques cyclistes – qui tournent les jambes sur une miteuse moquette de goudron.
Ce récit de 372 pages est celui d’un bourlingueur qui raconte « ce qu’il a vu et non ce qu’il aurait voulu voir ». Laurent Salinier-Auricoste est un incroyable baroudeur qui narre ses improbables aventures fourmillant de personnages baroques et fantasques rencontrés sur sa route (ou sente en latérite). Il démystifie un Brésil –éternelle grande puissance en devenir – dont l’immensité des terres se retrouve ceinturée par d’immenses fazendas où les villes sont jonchées d’immondices, du prurit d’une circulation convulsive et bourrées de favelas où errent les silhouettes de fantômes menaçants. Il traverse ainsi le nordeste et la pauvreté endémique des « sans terre » au son de la musique et de la danse du forro, des incantations des évangélistes, des matches de foot et des conseils éclairés d’autochtones qui lui proposent de s’égarer plutôt que de rester sur le bon chemin…
On notera que ce voyageur discret (pas de portrait, ni de photos sur le cahier central) possède une connaissance sociologique, historique et géographique assez surprenante de ce pays qui s’apparente à un continent. Le cycliste décrit ses escapades gastronomiques et ses rencontres dans les auberges pousadas ou dans les bouis-bouis qui foisonnent le long des routes et dans lesquels il est toujours possible de se ravitailler. Des pétarades de motocyclistes, des coups nerveux de klaxons, un tumulte d’exclamations et de plaisanteries échangées de trottoir à trottoir : me voilà bien au Brésil. Notre explorateur à pédales se révèle être un fin humaniste et observateur du monde, mais surtout un passionné de ce pays qu’il adore.
Et cet anti héros, arrivé à Copacabana, n’a rien prévu de mieux –pour sa promotion – que de demander à un baigneur d’immortaliser l’événement par une petite photo… Un vrai de vrai qui mérite d’être pris – lui et sa bicyclette – dans les bras du Corcovado (le Christ rédempteur) !
Laurent BAYART
* Dans la poussière du Sertào – A vélo sur les routes du nordeste brésilien de Laurent Salinier-Auricoste, éditions de L’Harmattan, 2014.