LIVRE / LORSQUE LE KAFKA CHINOIS RACONTE LA MORT DU SOLEIL…

          Inclassable et surprenant à souhait, l’écrivain chinois Yan Lianke est un orfèvre d’une certaine forme d’absurde, de dérision et d’ironie, parfois grinçante. Ce n’est pas par hasard qu’il a obtenu le Prix Kafka, en 2014, pour l’ensemble de son œuvre.

Souvent mis à l’index par la censure, il a le mérite de ne pas être un nième dissident vivant en Amérique mais de continuer à vivre et à publier dans l’Empire du Milieu.

C’est le jeune Niannian (malicieux clin d’œil de l’auteur ?) qui prend la plume pour raconter l’incroyable épidémie qui s’est abattue sur un petit village des monts Funiu. En effet, les gens du bourg ont sombré dans un somnambulisme désabusé où tout devient transgression, en réalisant leurs désirs les plus violents…La nuit règne sur le monde et le soleil s’est affublé d’un monocle sur son œil unique. Une apocalypse qui ne dit pas son nom, un no man’s land nucléaire ? 

De plus, avec un goût de la raillerie et de la satire, il se met en scène lui-même dans ce récit : Sa renommée est si grande que l’on pourrait le comparer à une pastèque dans un champ de sésame, à un chameau mené paître au milieu des moutons. Face à ce cataclysme, il convient d’éviter absolument de dormir afin de ne pas sombrer dans le somnambulisme et l’obscurantisme ! Son talent et son originalité s’avèrent remarquables, son style incomparable : L’homme avançait si vite que la route l’avalait. Un directeur de crématorium vole tous les cadavres dans les cimetières afin de les incinérer d’office, produisant une huile stockée dans des bidons…Un véritable cauchemar que l’on peut éviter en étant insomniaque : Une tasse avait suffi à nous faire passer l’envie de dormir. Et plus loin : Ils ont tous bu du thé, du café à la cryolithe ; ils ont perdu l’envie de dormir. Comment les cambrioler quand ils ne sont plus somnambules ?

Allégorie biblique, conte philosophique, les personnages pousseront le délire jusqu’à vouloir ressusciter le soleil et le sortir de sa grande noirceur. Chaos sous les étoiles, les êtres humains étant devenus démiurges…

                                                                  © Laurent BAYART

  • La mort du soleil de Yan lianke, Éditions Picquier, traduit par Brigitte Guilbaud, 2020.

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