LIVRE / ENTRE LA DISPARITION ET L’ABSENCE, L’INCESSANTE QUETE DU PERE, D’HISHAM MATAR.

          La couverture est tout simplement superbe et nous incite à nous plonger dans cette quête du fils à la recherche du père, référence emblématique dans cette Libye tourmentée par l’histoire et la dictature de Kadhafi, monarque sanguinaire qui officiait dans le bastion-prison d’Abou Salim où en 1996 un massacre de 1270 prisonniers fut perpétré par les sbires du potentat. Le père de l’écrivain, Jaballa Matar, opposant aisé du régime et membre de l’intelligentsia, fut arrêté dans l’Egypte voisine et complice, et envoyé dans les géôles du colonel…pour y disparaître à jamais. Trucidé ? Disparu à la mémoire égarée ? Personne ne sait trop bien ce qui s’est passé. Mais cette disparition laisse un vide énorme dans la vie d’Hisham Matar qui raconte cette lourde absence : Mais, contrairement à Télémaque, je continue vingt-cinq ans après de regretter d’être le fils « d’un homme silencieux dont la mort demeure inconnue ». J’envie le point final des funérailles… Défilent devant nous, au fil de la narration, des personnages imposants comme l’oncle Mahmoud ou le grand-père Hamed. L’histoire s’écrit en filigrane sous nos yeux : Père est né dans une Libye dirigée par Benito Mussolini. Il avait quatre ans en 1943, lorsque les armées italo-allemandes furent vaincues en Afrique du Nord par les Britanniques et les Français qui prirent alors le contrôle de la Libye. Le 24 décembre 1951, lorsque, sous l’égide du roi Idriss, la Libye gagna son indépendance, Père avait douze ans. En 1969, au moment du coup d’Etat de Kadhafi, Père avait trente ans…Les destinées sont racontées à la craie de l’histoire sur un tableau noir… qui s’écrit sous leurs yeux…

L’écrivain va mener une véritable enquête policière, sollicitant de nombreux témoins et personnalités dont un des fils de Kadhafi…Passionnant récit où l’horreur et l’humanité se côtoient, avec ce dialogue entre El Magroos et son tortionnaire qui veut lui faire cracher une injure à l’encontre du « dissident » Jaballa. Et le prisonnier de répondre avec grandeur : Écoute, je préfère dire les mots qui me feront couper la tête que ceux qui feront rougir mon front ».

                                                                    © Laurent BAYART 

  • La terre qui les sépare, récit, d’Hisham Matar, Du Monde entier, Gallimard, 2016.

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