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LIVRE / SYLVAIN TESSON OU L’HEURE DE LA RETRAITE.

imgresC’est la Bérézina ! Le terme est bien connu : il est employé pour signifier une situation cataclysmique, une incroyable déroute. C’est aussi et surtout le nom d’une rivière en Biélorussie qui fut le théâtre d’une des batailles, devenue mythique, opposant Napoléon aux troupes du Tsar en 1812, lors de la fameuse retraite de Russie. Et voilà que l’inoxydable arpenteur des steppes, Sylvain Tesson s’est affublé d’un tricorne, a abandonné sa Joséphine à Paris, et s’est transformé en aiglon napoléonien, enfourchant un Oural ou « motocyclette à panier adjacent » (entendez un side-car) et vogue la galère…Il a roulé à toute berzingue de Moscou à Paris.

Ce bourlingueur n’a peur d’aucun défi. En homme aguerri il aime les territoires russes et ses grands enfants qu’il décrit toujours avec un sens inné de l’observation, à la façon d’un ethnologue : La vodka est autrement plus efficace que l’espérance. Et tellement moins vulgaire…/…En Russie, l’art du toast a permis de s’épargner la psychanalyse, quand on peut vider son sac en public, on n’a pas besoin de consulter un freudien mutique, allongé sur un divan. Plus loin, notre bourlingueur parlant des ivrognes du pays de Poutine, perdus en hiver sous les amas de neige, sont appelés les « perce-neige ». En effet, au printemps, à la fonte du manteau blanc, ils annoncent bizarrement un curieux printemps…Vous l’avez compris : l’humour est froid et glaçant.

Cet extraordinaire périple est raconté avec son habituel talent narratif et un remarquable sens du récit. Sylvain Tesson refait vivre ces lieux chargés en histoire où les arbres ont repoussé, mais la terre, elle, continue à souffrir. Quand elle boit trop de sang, elle devient un haut lieu. Alors, il faut la regarder en silence car les fantômes la hantent.

Ce livre est un merveilleux « road trip » ou une fastueuse « glissade à la Kerouac », parsemé de poésie. Et en grognard fidèle, le lecteur le suit admiratif. Ce gaillard-là est – l’instar du général corse – un incroyable conquérant !

                                                                                                                     Laurent BAYART

* BEREZINA de Sylvain Tesson, Editions Guérin, 2015.

MAGAZINE / LE VELO EST UNE AVENTURE…

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« Le vélo est une aventure »…Quel beau sous-titre que celui de ce nouveau magazine dédié au vélo, et que je ne connaissais pas encore : « 200, le vélo de route autrement ». Autant ses confrères « Le cycle » se décline plutôt vers les cyclos sportifs, « Vélo magazine » vers la compétition, celui-ci s’adresse en particulier aux cyclotouristes lambda et à la pratique familiale des virées cyclistes.

Alain Puiseux, le directeur de la publication, évoque une revue « fait main » et sur mesure, tandis que Thierry Cerinato, dans sa chronique, parle avec humour des traces et autres brûlures laissées par le soleil sur les cuisses et bras des cyclistes. Il en appelle aux inventeurs de tout poil (donc pas épilés) qui seraient en mesure d’éviter ces marques et autres scarifications « cruel moment de l’arrivée sur la plage ». Les maillots de bain n’étant pas adaptés aux bronzages des cyclistes ! Plus loin, un article fort intéressant et original précise que le port des lunettes ne semble plus approprié, because les mouches, moustiques et autres moucherons sont en voie de disparition : En pédalant, on se souvient d’un papier du Monde lu quelques semaines auparavant : chose impensable voilà une vingtaine d’années, il est désormais possible de traverser la France tout en conservant le pare-brise de sa voiture presque vierge de toute trace d’insectes…C’est vrai, on n’aimerait pas être une abeille aujourd’hui. Ni un agriculteur. Et même pas un marchand de lunettes…

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Je vous avais prévenu : l’approche est originale. Sinon, plus sérieusement, on pourra y découvrir des portraits de cyclo-randonneurs, d’un périple qui s’apparente à une belle odyssée : « Deux Manches et la belle », 800 kms entre côtes françaises et anglaises, via un ferry, « le vélo de Maurice Garin » ou un article sur les vélos à pignon fixe et la préparation du mythique et terrible « Paris-Brest-Paris ».

Voilà une revue cycliste bien atypique qui, à l’instar du sous-titre d’entrée, nous confirme que le vélo est bel et bien une sacrée aventure !

 

Laurent BAYART

 

* magazine 200, 11 rue de Riom, 63000 Clermont-Ferrand. Disponible en kiosque. Abonnement : 23,20 Euros.

LIVRE/ POLITIQUE FRICTION A LA MICHEL HOUELLEBECQ.

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J’avais lu, voici quelques années, « Les particules élémentaires » que je n’avais guère apprécié, mais la curiosité et les conseils avisés de plusieurs amis m’ont incité à découvrir ce livre sorti récemment : « Soumission ». Promotion loupée pour cause d’attentats du début d’année. Michel Houellebecq dresse un livre de politique fiction qui secoue le Landernau !

L’auteur imagine le « séisme » d’élections présidentielles qui donnent la victoire du parti de la « Fraternité musulmane » coaché par l’homme politique émergeant : Mohammed Ben Abbès. Tsunami et défaite des partis « classiques ». La France s’islamise sous l’œil avisé du personnage héros/héraut, jouisseur, universitaire et adepte de Joris-Karl Huysmans, écrivain polémiste et scandaleux du 19ème siècle. Regard sur une civilisation vieillissante qui s’effiloche dans la perte de ses valeurs et de ses fondements. Voilà que la Sorbonne à Paris se voile : Dans l’antichambre, on était accueilli par une photographie de pèlerins effectuant leur circumambulation autour de la Kaaba. Le nouvel homme fort de la République travaille sur un recentrage de l’Union Européenne avec les négociations lancées pour l’adhésion de l’Algérie, la Tunisie et le Maroc. La Méditerrannée prenant une place de choix au milieu des vieilles étoiles du drapeau européen…et désire s’étendre vers le Sud, plutôt que vers l’Est.

Avec le talent qu’on lui connaît, Houellebecq le sulfureux et l’iconoclaste taille dans le vif et se fait lanceur d’alerte : Cette Europe qui était le sommet de la civilisation humaine s’est bel et bien suicidée, en l’espace de quelques décennies, en rajoutant plus loin : L’Eglise catholique était devenue incapable de s’opposer à la décadence des mœurs, de rejeter vigoureusement le mariage homosexuel, le droit à l’avortement et le travail des femmes…

Humour aussi avec le portrait dressé d’un célèbre politicien que l’écrivain semble peu apprécier : Le vieux politicien béarnais, battu dans pratiquement toutes les élections auxquelles il s’était présenté depuis une trentaine d’années, s’employait à cultiver une image de hauteur, avec la complicité de différents magazines ; c’est-à-dire qu’il se faisait régulièrement photographier, appuyé sur un bâton de berger, vêtu d’une pèlerine à la Justin Bridou. Vous l’aurez reconnu !

Ce livre est intéressant par les idées qu’il lance, bien écrit, provocateur, histoire de susciter le débat, sans omettre, avec un zest d’humour, son point de vue éclairé sur la mode des sushis : Il y a une espèce de consensus universel autour de cette juxtaposition amorphe de poisson cru et de riz blanc.

                                                                                                                      Laurent BAYART

« Soumission », roman, de Michel Houellebecq, Flammarion, 2015.

LIVRE / COMME UN TREMBLEMENT A HAITI OU « DANSER LES OMBRES » DE LAURENT GAUDé.


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Chaque livre de Laurent Gaudé constitue un événement en lui-même. L’auteur à succès, dramaturge, nouvelliste et romancier est attendu à chacune de ses parutions. Son dernier ouvrage nous emmène en Haïti, dans ces terres d’extrême pauvreté où –comme si cela ne suffisait pas – les hommes sont régulièrement écrasés sous le poids des ubuesques mais sanguinaires dictatures, qu’elles soient celles de la famille Duvalier ou celles de ses grotesques caricatures qui se sont succédées.

La narration est un peu lente et l’histoire poussive jusqu’à ce que cette terre déshéritée se mette à trembler : Personne n’avait remarqué que les oiseaux s’étaient tus, que les poules inquiètes, s’étaient figées de peur. On glisse alors dans l’éboulis de l’horreur et la poussière blanche des gravats. Le monde bascule et les personnages se fourvoient entre la vie et la mort. On ne sait d’ailleurs plus qui respire encore et marche. Les ombres du passé ressurgissent et viennent hanter les presque vivants. Tout semble basculer dans la précarité de l’instant. Avec son talent coutumier, Laurent Gaudé nous entraîne dans les limites des mondes invisibles. On y retrouve quelques coups de crayons de ses livres précédents comme La mort du roi Tsongor ou La porte des enfers. L’univers des combats de coqs, du vaudou, des redoutés tontons macoutes, des misérables des Caraïbes et des prostituées enchantées par la grâce. Comme à son habitude, l’écrivain nous offre une galerie de personnages attachants qui représentent les balises d’un livre où le récit semble accomplir une certaine forme de destinée, à l’image de ce peuple meurtri. Tels des personnages bibliques, ces héros de l’ordinaire devront mourir une seconde fois, se glisser dans la faille de la crevasse et laisser disparaître le sismographe de la peur. Ainsi, la paix reviendra mais à quel prix ! Cette île d’hommes libres, territoire de Toussaint Louverture, ne cesse d’affranchir ses anciens esclaves.

                                                                                                                      Laurent BAYART

* « Danser les ombres », roman, de Laurent Gaudé, Actes Sud, 2015.

 

 

 

 

 

BILLET D’HUMEUR / ACTE 27 / L’ETE MEURTRIER/

         La folie des hommes semble poursuivre son inexorable progression en sombres métastases. Voilà que certains poussent des cris d’orfraie à l’occasion de la destruction d’un temple sanctuaire à Palmyre.

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On se souvient des Talibans à Bâmiyân… « Crime contre l’humanité ! » entendait-on proférer çà et là…Mais le massacre et cette barbarie effroyables perpétrés à l’encontre des populations ont déjà validé depuis longtemps ce qualificatif ! Et personne ne semble réagir ? Le monde (civilisé) brille par son absence… Que fait l’ONU ? Les grandes puissances tutélaires ? Ces hordes d’assassins (dérivé de hasis « haschich » ?) grignotent, peu à peu, les territoires dans une certaine indifférence…Surprenante même ! Jusqu’où ? Pendant ce temps-là (cause à effets) des hordes déguenillées de réfugiés viennent chercher l’Eldorado plutôt que l’E.I. (Etat Islamique)…en U.E (Union Européenne). Ils n’ont plus rien à perdre. Partout, la désolation et la mort…Ce vingt et unième siècle commence bien mal son entame. Si l’horreur diminue, c’est le signe que nous serons plus heureux dans une centaine de générations, si l’horreur augmente, notre Histoire prendra fin, car l’horreur final ne laissera rien *. Il faudrait sortir les vrais soldats de la paix afin d’endiguer cette sinistre marée noire. Proposer un peu d’espoir, enfin ! La planète a besoin d’un réchauffement d’humanisme et d’humanité, histoire de nous mettre un peu de baume au cœur avant l’explosion de la bombe à retardement du réchauffement climatique ! Oups. Nostradamus ne saurait plus où donner de la prédiction ! Décidément, le Moyen Age n’est plus ce qu’il était…

                                                                                                                      Laurent BAYART

* Jérusalem de Gonçalo M. Tavarès, Editions Viviane Hamy, 2008.

LIVRE / « J’AI ETE LE DERNIER HOMME SUR LA LUNE D’EUGENE CERNAN ».

imgres Autant connaît-on Neil Armstrong, le premier homme à avoir posé le pied sur la lune (Un petit pas pour l’homme, un grand pour l’humanité), autant on ignore tout de l’existence tourmentée des aventuriers en bulles translucides posées sur la tête, et le dernier à avoir arpenté la poussière lunaire  est un certain – illustre inconnu ? -Eugène Cernan.

Dans un pavé de près de 500 pages, le cosmonaute américain revient sur les péripéties de cette expédition spatiale, l’émulation voire cette sauvage compétition, un peu comme pour les « étoiles » de l’Opéra afin de parvenir au Graal suprême de la sélection, même si nous n’avons pas affaire à de la grande littérature. La traduction est parfois approximative et les répétitions…répétitives ! L’ouvrage revêt tout de même un indéniable intérêt car nous entrons de plain-pied dans les coulisses de cette conquête du cosmos des années soixante-dix, durant lesquelles Américains et Russes se livrèrent un combat acharné. Guerre froide, même dans le cosmos…Ce fut – sans conteste – l’âge d’or de la conquête spatiale.

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Détails croustillants (enfin, façons de parler !) sur la manière d’uriner et de déféquer dans l’espace…: La meilleure façon de déféquer, c’était de ne pas le faire…Pendant les trois ou quatre jours avant une mission, nous mangions de la nourriture engendrant peu de résidus. Donc, à l’époque, il valait mieux engager des constipés ! Temps héroïques des capsules Gémini (Fruit du travail de 4.000 sociétés dans 42 Etats / chaque capsule était constituée de 1.367.059 pièces) et des fusées Saturne, avant la lignée d’Apollo qui rentra dans l’histoire. Travail scientifique et entrainement constants à l’adresse de ceux qui seront choisis pour aller « caresser le visage de Dieu ». Pas facile non plus, pour la vie familiale, souvent brisée, se terminant en queue de comète (poisson) : le divorce. Cernan, fils d’émigré tchécoslovaque, revient sur sa jeunesse et ses origines. Et puis, il conclut cet imposant volume en confiant : Il semble qu’Apollo était trop en avance sur son époque. Le Président Kennedy est allé chercher loin, dans le vingt et unième siècle, une décennie qu’il a incrustée dans les années soixante et soixante-dix. La logique voulait qu’après Mercury et Gemini, nous aurions dû construire la navette spatiale, puis une station orbitale, et c’est seulement à ce moment-là que l’on aurait dû penser à la lune…

                                                                                                                      Laurent BAYART

 

* J’ai été le dernier homme sur la lune d’Eugène Cernan et Don Davis, Editions Altipresse, 2010.

 

 

LIVRE / APPRENDRE A PRIER A L’ERE DE LA TECHNIQUE DE GONCALO M. TAVARES.

J’avoue que c’est le titre – fascinant ! – qui m’a fait prendre cet ouvrage à la bibliothèque ! Drôle d’entame et de générique, curieux j’ai commencé à dévorer ce livre signé par Gonçalo M. Tavarès, un très grand écrivain portugais contemporain (né en 1970) et qui enseigne l’épistémologie après avoir étudié la physique, le sport et l’art. Bref, une pointure d’éclectisme, un cabinet des curiosités à lui tout seul…

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Et là, je tombe presque sur un chef d’œuvre, en tout cas un livre hors de gamme et hors du commun !

Le personnage central Lenz Buchmann, médecin chirurgien de son état, « envoûte et révulse ». Voyage dans le cynisme absolu, la morale, la perversité, l’alchimie glaciale des rouages machiavéliques de l’être humain. Bref, c’est une trituration dans la psychologie du « roi de la création », et ce n’est guère reluisant…Cet opus littéraire s’articule autour de nombreux petits chapitres qui constituent des récits – à part entière – dans l’histoire. On y côtoie le frère de Lenz, atteint d’un cancer. Et que ressentait Lenz face à cela ? Face à la mort annoncée d’Albert Buchmann, son frère ainé ? Rien, absolument rien. Il regardait cette radio comme on regarde un paysage…Une patiente aussi, en phase terminale, lui confie un courrier pour son fils qu’il ne remettra jamais… Du reste, Lenz Buchmann s’était orienté vers la médecine par hasard, à la suite d’une décision motivée par un accès d’optimisme…/…Il était né et avait été éduqué pour tuer. Il jouit à l’idée d’humilier un mendiant ou sa femme (qu’il trucidera froidement). Son père, médecin lui-même, Friedrich, finira par mettre fin à ses jours. Lui qui avait assassiné (pendant la guerre) le père de celle qui deviendra, plus tard, la secrétaire (Julia Liegnitz) de son fils…Sa phrase fétiche étant : Dans les marécages, les moteurs ne marchent pas. (Voir le visuel de la couverture). Puis, Lenz se découvre aussi un cancer : Je me suis promis à moi-même de ne revenir à l’hôpital qu’en qualité de malade. Il se jettera –corps et âme – avec le même dégoût et cynisme dans la politique où l’âme sombre de l’être humain semble donner sa pleine mesure…

Voilà donc un livre magistral, comme une leçon d’anthropologie et de sociologie finement écrit. Cette écriture me fait penser à celle de l’écrivain brésilien Machado de Assis. Sans conteste, une grande voix de l’écriture universelle. A découvrir absolument.

                                                                                                                    Laurent BAYART

* Apprendre à prier à l’ère de la technique, roman, de Gonçalo M. Tavarès, Editions Viviane Hamy, 2010.

BILLET D’HUMEUR / ACTE 26 / MA BELLE TOILE OU CE MATIN DANS LE JARDIN…

 

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        Ce matin, je n’ai pas pu résister. Lorsque je suis allé faire ma petite balade dans le jardin, je suis resté émerveillé devant une toile…Accrochée entre les portiques d’une ancestrale balançoire, l’artiste arachnéenne a tissé son œuvre éphémère. Ecriture magique en broderies et chemins de croix. Quelle merveilleuse alchimie, quelle géométrique beauté ! Je suis resté en admiration devant cette architecture de fils offerts à l’ivresse du vent. Tels des rets de pêcheur ou un jeu de cordes pour l’escalade dans les jardins publics, cette toile m’a subjugué. L’araignée attendait dans un coin la venue d’une mouche, moustique ou autre insecte. Alors, je me suis emparé de mon portable et, comme dans une galerie d’Art, j’ai photographié l’œuvre. Sauf que la galerie, c’était mon jardin…Je voulais féliciter l’artiste, mais je ne l’ai pas trouvée. Trop modeste probablement…elle avait juste laissé le prix (à payer) telle une gommette noire : un malheureux moucheron. Minuscule ballon fixé dans les filets de son but.

                                                                                                                  Laurent BAYART

LIVRE / CINEMA / CONFESSIONS SANS CONCESSIONS DE GERARD DEPARDIEU.

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Le titre est pour le moins simpliste : Ca s’est fait comme ça. Le récit biographique de ce – comme on dit – « monstre sacré du cinéma » qu’est Gérard Depardieu se révèle intéressant, dans la mesure où il raconte et surtout explique le personnage épique et hors norme. Une grand-mère, dame pipi à Orly, un père alcoolique (Dédé) et une jeunesse pauvre dans une ville de province : Châteauroux. Une existence qu’il prend comme un cadeau, car l’embryon a évité de justesse « les aiguilles à tricoter » qui brisent les destins démunis. La prison et des jours chahutés, puis un psychologue qui lui prédit un avenir d’artiste. A défaut de sculpture (Tu as des mains de sculpteur), il s’orientera vers des cours d’art dramatique où il explose littéralement la scène. Il apprendra, lira beaucoup et fera ses gammes en orfèvre qu’il devient très vite. On ne s’épanchera pas sur sa carrière que tout le monde connaît. Par contre, le lecteur se laissera surprendre par cet homme attachant et tendre qui dit son amour invétéré pour le vin qu’il boit et…produit également: Moi, si j’ai voulu faire du vin, c’est pour que mes enfants n’oublient pas la vie, qu’il y ait une trace…Il avoue son aversion pour la cellule familiale et reviendra sur ses échecs de père et de mari. On lira avec intérêt sa confession d’homme libre et le ressentiment qu’il nourrit envers la France et les Français : Ils ont perdu le goût de l’aventure, ils ont perdu l’ouïe, l’odorat, ils n’entendent plus la musique que porte le vent…On ne reviendra pas sur son amour de la Russie, sa culture et la littérature, la geste orthodoxe qui emporte les êtres vers le haut, loin des bas calculs arithmétiques d’un Occident matérialiste qui a brûlé son âme dans la thésaurisation boursière. La spiritualité slave l’enchante au plus haut point. La force, la beauté et la tragédie des hommes soufflent à travers toute l’œuvre de Dostoïevski. Et, confie-t-il, à Saransk où j’habite, à sept cents kilomètres de Moscou, il m’arrive de m’arrêter dans la rue ou au bord d’un champ, simplement pour écouter chanter les femmes… Force est de constater que celui qui sait encore écouter le bruissement du monde ne peut pas être le poivrot démoniaque, voire l’ignoble sauvage, que l’on a tant décrié !

                                                                                                                  Laurent BAYART

 

* Ca s’est fait comme ça, de Gérard Depardieu, XO Editions, 2014.

 

 

 

LIVRE/ GISELE CASADESUS, UNE VIE DE THEATRE.

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 Cette biographie, rédigée sous forme de récit, raconte à la première personne l’incroyable parcours de la comédienne Gisèle Casadesus, « monstre sacré » du théâtre français, né le 14 juin 1914…dans une famille d’artistes : un père compositeur altiste, une mère harpiste…En 1934, elle entre à la Comédie Française à l’âge de 20 ans. La jeune femme va côtoyer les plus grands noms de la scène : Jacques Copeau, Louis Jouvet, Pierre Fresnay, Madeleine Renaud ou Raimu. Son livre retrace une carrière impressionnante. Ainsi, en 1946, le Conservatoire s’appellera encore « Conservatoire National de musique, de danse et de déclamation » avec un ténor en la matière : la classe de Georges Le Roy.

Cette comédienne centenaire nous distille de croustillantes anecdotes sur une vie passée sur les planches, non sans nous remémorer une date fétiche pour les dramaturges : l’anniversaire de Molière, tous les 15 janvier. Elle nous racontera ses innombrables tournées dans le monde, et notamment en Amérique du Sud et au Brésil. Les réceptions au Ministère des Affaires Françaises. Ah…le temps où la culture française illuminait encore le monde…Beaucoup d’humour aussi avec ces réflexions de spectateurs mécontents (et un peu naïfs, voire ignares) : C’est exact que vous ne jouez pas ce soir ? Demandent-ils à la location ? – Mais si pourquoi ? – Comment ? Nous avons vu dans le journal que la guerre de Troie n’aura pas lieu ! Ou la réflexion de ce monsieur : Mais dites-moi, qu’est-ce que c’est au juste, « le guilledou » ? – Monsieur, ai-je répondu en me retenant de rire, si vous ne savez pas ce que signifie courir le guilledou, votre femme doit être bien heureuse…

Cette femme, au nom d’empereur romain, traversera toutes les métamorphoses du théâtre, via la télévision et le cinéma où l’on joue pour un spectateur fictif…Elle ne connaîtra ni l’ennui, ni la retraite et affirme, à ceux qui vont au théâtre pour s’assoupir : le sommeil aussi est une opinion ». Seul regret, car il en faut aussi dans une existence bien remplie, celui de n’avoir jamais interprété Shakespeare, Claudel ou Tchekhov…

                                                                                                                      Laurent BAYART

* Gisèle Casadesus, le jeu de l’amour et du théâtre, Editions Philippe Rey, 2014.