Réinventer le temps au rythme de l’instant qui passe nonchalamment. S’asseoir et savourer chaque seconde comme si c’était la dernière. Regarder le sable fin s’écouler, en égrenant lentement sa dactylographie dans le sablier… L’éternité n’est pas pressée de nous voir déferler dans ses limbes et autres labyrinthes. Aimer jusqu’à plus soif et se rassasier du trille d’un oiseau persifleur. Observer un nuage qui se pavane dans le ciel, comme un ballon gonflable dont un enfant aurait lâché la ficelle. C’est peut-être ça la liberté…
Attendre et patienter à une station de bus en sachant qu’aujourd’hui aucune navette ne viendra à ce rendez-vous impromptu, hors horaire et nomenclature.
Et doucement, glisser dans cette sérénité qui fait de vous un arpenteur de bonheur et un orpailleur de sérénité.
Pendant ce temps, il est justement passé, sans se faire remarquer…
En laissant sur le sol une carte de visite vierge.
C’est une ivresse de fleurs jaunes d’or qui pâturent allégrement dans la félicité verte des prés. Jubilation de cette cueillette champêtre sous le tournesol du soleil qui enchante ce tableau bucolique. Les enfants sont lâchés en quête de bouquets en poignées de main. Classe et chasse buissonnières où chacun devient l’élève ce cette maîtresse bienveillante qu’est Dame nature. Les vaches ont pris la poudre d’escampette, alors profitez-en, les petits, pour investir leur domaine en vous faufilant sous les herses électrifiées…Gare aux coups de jus ! Les gommettes en conques couleur citron égayent cette journée passée à la maraude à ras des pâquerettes. Dans cette étendue verte, on entend sonner le tocsin de cette trompette de Jéricho ocre qui annonce la venue du printemps !
Bonheur de ces instants précieux…Les jonquilles vont bientôt quitter la conque des mains pour aller tremper leurs pieds en fines tiges, qui dans un verre, qui dans un mazagran, qui dans un vase en forme de flûte…
Voilà que la cuisine et le salon de la maison du Val d’Ajol vont se transformer en succursales des prés.
Pendant ce temps-là, les reines des champs et autres montbéliardes ont repris leur royaume…De la traite du soir à la ferme du Girmont, sortira un lait dont la blancheur aura pris une petite jaunisse.
Il y a parfois (et même souvent) des découvertes fertiles et les couvertures des Éditions Picquier sont, à l’instar de celles de vieux vinyles, de petits trésors esthétiques qui vous chatouillent les mains en vous donnant envie de les prendre !
Huang Beijia est une auteure chinoise, née en 1955, diplômée de l’Université de Pékin, elle occupe un poste au Bureau des Affaires Étrangères de la province du Jiangsu. Elle a – jusqu’à présent – publié trois ouvrages dont cet opus qui attire irrésistiblement l’attention « Comment j’ai apprivoisé ma mère ». Il raconte les péripéties d’un petit garçon (Didi) qui, par suite du décès de son père, vient vivre chez sa mère (Mei) dont il était séparé depuis belle lurette. Elle n’était pour lui qu’une photo, voilà que cette animatrice de radio (connue sous le nom de Xin Ping) sort du cadre pour prendre vie et forme pour s’en aller cohabiter à Nankin. La grand-mère, connaissant bien sa fille qui a déserté le foyer conjugal, savait que Mei ne pourrait pas être une bonne mère, elle avait abandonné son mari et son fils pour sa carrière. Le petit garçon va mener l’enquête autour de cette mère qui anime une emblématique émission de radio en pleine nuit, très prisée. La narration file comme un long fleuve, chacun se réappropriant sa part de tendresse en essayant de rattraper le temps perdu : – Alors pourquoi tu l’as quitté ? Tu l’as quitté et tu m’as abandonné. Ma grand-mère disait que tu ne voulais pas de moi, que tu n’étais pas heureuse d’avoir un enfant.
Voici un livre tendre sur un improbable rapport fils/mère où le temps perdu se regagne par la confiance retrouvée, et puis l’amour aussi…C’est ce qu’on appelle doucement « s’apprivoiser ».
Laurent BAYART
Comment j’ai apprivoisé ma mère de Huang Beijia, Éditions Picquier, 2008.
La lumière était en nous, il y a très longtemps. Dans le monde d’avant la naissance, nous étions des lucioles déambulant dans la voie lactée d’un voile placentaire. Puis un jour, nous avons été happés par un jet de lumière et avons accosté dans un « nouveau monde ». Une étoile posée dans une salle d’accouchement aux draps tout blancs… Nous sommes ainsi morts à l’envers. La lumière s’est lentement retirée de notre corps de bébé, à la peau fripée comme du papier froissée. Nous sommes partis ainsi à l’aventure de l’instant. Mais il restait toujours un peu de clarté en nous, comme un souvenir de luminosité. Une porte ouverte sur le cosmos. Le temps passe et file, on appelle ça tout simplement la vie. Jusqu’au jour où la lumière viendra nous rappeler à elle et nous emmener dans ses circonvolutions. Alors, le seul bagage qu’il nous conviendra d’emmener sera notre âme. Un puits de lumière qui s’installera dans les limbes du soleil. Pour toujours. On appelle cela l’éternité.
Et là, la lumière habillera et habitera notre silhouette.
Le temps n’existera plus, il suffira de psalmodier une prière comme on allume une bougie dans la nuit.
Les voix, sous forme de littérature, nous provenant de Mongolie sont rares. Galsan Tschinag est l’une d’elle, totalement atypique, cet écrivain a passé de nombreuses années à écumer le vaste monde avant de revenir vers son peuple de nomades du Haut-Altaï ; les Touvas. Séjournant aussi en Allemagne, il a commencé à écrire dans la langue de Goethe ! Et voilà que je tombe sur un de ses ouvrages simplement intitulé « Chaman » qui résume peut-être son singulier parcours initié par les voies de l’invisible et ses rêves (souvent) prémonitoires. L’auteur nous confie que chaque être humain est le rêve d’un être supérieur. Il suffit que celui-ci se réveille, là-bas, pour qu’une vie humaine s’achève ici. Plus loin, prenant exemple de l’eau qui gèle et de ses cristaux, Tschinag affirme : la goutte ronde reparaît. La mort n’est qu’un état transitoire. L’emblématique yourte photographiée en couverture constitue le cosmos de cet univers de pérégrins : Ce que les chameaux transportent, c’est notre logis, notre yourte, sans doute inspirée des nids que construisent les oiseaux. D’ailleurs, il écrit un peu plus loin que les chameaux comptent parmi les animaux au souffle froid ? Et ne peut donc faire l’objet d’un cadeau !
Nous traversons ce livre, dense et rempli de souvenirs et de récits, comme sa première rencontre avec le Dalaï-Lama ou sa scolarité durant les années staliniennes avant de reprendre le mode de vie traditionnel nomade.
Beauté de ces paysages en caravanes itinérantes, tout au long de cet infini des steppes où même le plus rapide des chevaux ne peut rattraper un mot prononcé !
Laurent BAYART
Chaman de Galsan Tschinag, éditions Métailié, 2012.
Ce n’était pas un jour comme les autres, un serment sur un banc, place de la République à Strasbourg, devant la préfecture où je faisais mes premières armes à l’époque. C’était il y a très longtemps…Un bisou qui a mis le feu à nos vies. Blancheur de l’infirmière qui a posé de doux remèdes sur mes maux ou plutôt sur mes mots…Un stéthoscope et un stylo comme des talismans ! Jeune écrivain échevelé, j’allais signer là le livre de notre destinée. Quarante-deux ans plus tard, autant d’années de mariage à « convoler en justes noces » comme on dit…
Nous avons posé de petits cailloux sur notre sente dans l’ivresse de ces rendez-vous quotidiens. Danser la gigue sur les traverses et esquisser des pas de bossa nova dans les flammes et les chemins qui jetaient leurs chardons et leurs orties sur notre épiderme. Mais, nous sommes toujours et encore debout ! A l’instar de ce poème écrit sur notre carte de mariage en 1981 : Une rose dans tes mains ne se fanera jamais, rose sans épines qui témoignera à jamais de notre amour…
Un et un font toujours toi.
Comme un sanctuaire en bois, ce banc de tous les serments et de toutes les promesses existe toujours. Il faudrait y graver un cœur avec une flèche, comme on grave des dates et des noms sur une stèle.
Nous étions jeunes et le sommes encore, par la grâce de nos enfants et petits enfants qui sont nos cantiques de lumière. Ils ont jeté aujourd’hui une nappe en velours sur ce banc reposoir où nous nous sommes dit oui sans savoir que c’était comme parapher un livre d’Or.
Chaque jour est un nouveau rendez-vous.
Je t’aime toujours et encore comme un et un font toi.
Non, détrompez-vous, ce ne sont pas les hirondelles, comme on le clame à cor et à cri, qui annoncent la venue du printemps mais bel et bien les cigognes qui viennent craqueter sur les toits en fête des maisons. Les magnolias proposent leurs couleurs de kermesse, rose et blanche, sur leur porte-manteau éphémère, vasque en forme d’arbre qui s’évase vers le ciel que les nuages remplissent de leur eau…baptismale.
L’oiseau, grand échassier, se tient comme un point d’exclamation sur les faitières et semblent observer, goguenard, l’horizon.
Que vois-tu donc bien venir, sœur Anne, ma sœur Anne ?
Le printemps ? Mais aussi une bouffée d’espérance pour égayer le cœur des hommes. Qui sait ?
Proposera-t-elle le bretzel d’un peu de douceur et de tendresse ? Un nouveau-né dans leur besace ? Les tuiles devenant carrelage de nurserie?
Une hirondelle jalouse fait office de sage-femme. La cigogne, quant à elle, accouche du printemps…et dans la chambre de l’élue, un bouquet de magnolia annonce la naissance de cette saison si attendue, à l’image d’une (re) naissance…
Nous partirons pour les lointains dans l’ivresse de tous nos vagabondages, arpenter routes et sentes, écumer les voies ferrées et sillonner le ciel avec le porte-plume des oiseaux au fuselage d’acier que l’on appelle des avions … Dépêchez-vous ! Le temps file vite, bien trop vite et nous n’aurons pas le temps de nous griser de tous les manèges que l’existence nous offre. Savourer la vie comme un grand parc d’attraction où -finalement- l’essentiel étant de prendre du plaisir et de gouter à l‘instant qui passe langoureusement. Jouer et vivre en se tenant par la main comme pour rentrer dans une ronde. La vie est une danse qu’il faut suspendre lorsque la musique s’arrête.
Et quand le carrousel s’éteindra, vous serez devenus de vieilles personnes, mamies et papys, le passeport tamponné de mille cachets en rouge à lèvres d’embrassades et de bisous d’amour. Le seul vrai bagage à emporter…
Il sera alors temps de laisser votre place afin que d’autres s’installent.
Car le manège va reprendre sa sempiternelle circonvolution.
Déjà, le manouche forain qu’est Dieu vous réclame votre ticket ! Et avec un peu de chance, vous arriverez à décrocher le pompon qui vous permettra de faire encore un petit tour…
…avant de rendre définitivement les armes et de laisser voyager votre âme.
Car là-haut, le grand manège du ciel vous emmènera à dos d’étoiles, chevaucher la grande ours ou celle du Berger et prendre l’enivrante roue des constellations…Vous garderez ainsi le collier de vos mains accrochés à jamais. L’amour étant une ceinture qui vous protègera comme une prière chuchotée à l’éternité.
Dans ton œil espiègle et taquin, nous écrirons la tendresse. Ta pupille grande ouverte chante la romance d’un grand soleil qui viendra nourrir le monde de demain…Il est temps d’y mettre enfin des majuscules et de faire revenir les farfadets, les lutins et autres elfes. Ré-enchanter le monde de leur magie ! Petit, nous avons tant besoin de ces caresses pour faire jubiler nos âmes en kyrielles de palpitations d’amour. Des anges pour tapisser le ciel de leur divine présence. Il faudra, forcément, des jours de liesse pour y faire sourire tous tes doudous et autres nounours qui n’attendent que toi pour réinventer notre imaginaire. Viens jeter la lumière sur nos espérances ! Dans tes yeux, nous y verrons l’échappée du printemps et la félicité des fées.
Et sur mon nuage, tout là-haut, j’inventerai des images pour te faire encore rêver.
Et le monde sera si beau que tu n’en croiras pas tes yeux…remplis d’étoiles !
C’est un somptueux enchantement en images qui filent à la vitesse de la lumière (des frères éponymes !) sur les écrans et en technicolor déroulant leurs longs rubans, à l’instar d’une muraille de Chine… Une merveille de voyage sur cette roue (de la fortune) de la soie mythique et magique que nous proposent depuis plus de 29 ans Martine et Jean-Marc Thérouanne, en duo de passion pour cet art majeur, le septième comme on dit ! Septième ciel aussi où pendant neuf jours on déroule le tapis rouge et les bobines de films souvent inédits, venus de nombreux pays d’Asie. Un festival où « chaque spectateur porte un nom » comme je l’avais écrit en 2019 à l’occasion des 25 ans du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul avec ce livre présenté, lors de cette édition, « V’Asie à Vesoul ! » en mode dédicaces et lectures musicales avec la talentueuse Louise Shao Zhongquin.
Cette année, 85 films sont programmés dont 38 inédits, provenants de 31 pays. Une incroyable prouesse technique et humaine qui confère à ce festival un cachet et une authenticité en faisant un rendez-vous professionnel, festif et humain car, comme l’écrit les « metteurs en scène » de ces cinémas en « intérieur/nuit » : On n’a jamais eu autant besoin de se rencontrer, de parler, d’échanger. Et quoi de mieux qu’un festival de cinéma pour répondre à ces attentes ». Et plus loin, de rajouter : Le cinéma a cette capacité d’aborder à la fois des sujets sérieux voire essentiels, de sensibiliser le public aux enjeux d’aujourd’hui et de demain mais aussi de divertir.
Et cette année, la Corée, les Philippines et Singapour seront particulièrement à l’honneur avec des rétrospectives. Mais le Festival n’est pas seulement une multiplicité de projections, il propose aussi de très nombreux rendez-vous artistiques et pluridisciplinaires, comme des expositions, des rencontres, des soirées thématiques, des conférences, des actions de sensibilisation auprès des jeunes, des séances scolaires…et même une lecture de haïkus en mode poésie japonaise !
Oui, plus que jamais et en cette période bien tourmentée, où l’obscurantisme tente de maculer de taches d’encre l’écran de nos espérances, ce festival offre la luminosité de ses instants de grâce qui nous permettent d’espérer en des lendemains meilleurs !
La culture nous offre la projection de ce bonheur de croire encore et toujours en l’être humain, mais surtout en la vie qui n’est finalement qu’un vaste et intense moment de cinéma…